Causette

Femmes artistes

- PAR CLARENCE EDGARD-ROSA

Il n’y a que le genre masculin qui a trouvé grâce dans la sacro-sainte histoire de l’art. Loin d’être un énième livre sur les femmes artistes, Histoire de l’art d’un nouveau genre rattrape le fil, cette fois sous le prisme du genre. Son auteure principale, l’historienn­e Anne Larue, explique : « On a supprimé les femmes des écrits sur l’art au XIXe siècle. Alors, naturellem­ent, dans les années 1960, au moment où cette discipline se popularise, les guides qui lui sont consacrés ne mentionnen­t aucune femme. » Et voilà comment, aujourd’hui, les programmes d’histoire de l’art n’en ont que pour les hommes.

Des fresques médiévales au Bahaus, pourtant, les artistes ne sont pas que mâles, malgré des limitation­s qui mettent aux femmes des bâtons dans les roues. Ainsi, dès la Renaissanc­e, au moment où la peinture acquiert ses lettres de noblesse, on leur interdit de voir un modèle masculin nu (ce qui les exclut de fait des classes d’anatomie humaine), de faire de la peinture historique (le plus prestigieu­x des genres), d’accéder aux académies… « Les femmes peuvent donc peindre des coquillage­s, des animaux, des fleurs, bref : rester dans un genre méprisé », résume Anne Larue. Un bon moyen de les assigner au mignon, au minuscule, à tout ce qui passe inaperçu, en résumé : à la sphère privée. « Properzia de’ Rossi, une sculptrice de la Renaissanc­e capable de faire des choses extraordin­aires, était ainsi réduite à gagner sa vie en sculptant des noyaux de pêche. Regardez Louise Bourgeois et sa géante sculpture Maman : quand elles ont accès à des moyens techniques à la hauteur de leur talent, les femmes font de grandes choses ! » Anne Larue compare le rôle des grands maîtres, dont l’histoire a retenu le nom, à celui d’un directeur artistique d’aujourd’hui : il prend la commande, fait un vague croquis et refile le bébé à des petites mains. « Rembrandt est le seul à décrire son travail comme l’arrangemen­t commercial qu’il est. Bien sûr, il se garde bien de dire qu’il y a des femmes derrière, pourtant son atelier

Les filles vissées comme apprenties en est rempli. Il y a ses filles, mais aussi des apprenties. On a beaucoup “héroïsé” le grand maître, on l’imagine en pleine transe, sur une échelle avec un halo de lumière divine sur le sommet de la tête, alors qu’en fait il est exactement comme le directeur artistique d’une agence à qui on commande une pub pour la Maaf, il se dit : “Merde, plus que deux heures pour rendre ce truc !” » ironise l’historienn­e.

Il ya à l’époque trois grades : apprenti, compagnon et maître. « Généraleme­nt, les pères empêchent leurs filles de dépasser le premier grade, trop contents de les visser comme apprenties pour qu’elles travaillen­t pour eux jusqu’à la fin de leurs jours, tout en ne sortant jamais de la maison, ce qui est bien pratique. » Sofonisba Anguissola fait partie des exceptions : son père décèle son talent et l’envoie travailler dans un atelier à l’extérieur. Elle devient une peintre majeure, enseigne et fait office, en Italie, de modèle pour toutes les femmes qui suivront. « Tout le monde voulait devenir peintre parce qu’elle avait donné le ton. »

In fine, la place des femmes dans l’art est un reflet très net de leur place sur l’échelle sociale. « Il y a le gros problème de

ce qu’on appelle la “féminisati­on des métiers”, à savoir que plus un métier devient féminin, plus il est dévalorisé. À l’heure actuelle, l’arrivée massive des femmes dans l’art contempora­in est ressentie de la même façon : certains essaient d’en faire une sorte de distractio­n pour amuser la galerie », regrette Anne Larue.

Et aujourd’hui, pourquoi se demande-

Le grand maître, un directeur artistique il prend commande, fait un vague croquis et refile le bébé à des petites mains

t-on quasi systématiq­uement si les femmes artistes sont féministes, comme si elles empiétaien­t encore sur un terrain qui n’était pas le leur ? « De la même manière qu’on demande toujours à un artiste noir de travailler sur la culture noire », répond Anne Larue du tac au tac. « On demande en permanence aux minorités de se justifier. » Elle regrette que l’histoire de l’art telle qu’elle est enseignée ne prenne pas en compte la dimension du genre. « Les programmes sont totalement ringards. Et en apprenant aux filles une histoire de l’art dans laquelle les femmes n’ont pas leur place, rien n’est fait pour éveiller les vocations. » D’où son besoin de mettre un grand coup de pied dans la fourmilièr­e.

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