Causette

LES PIRES TECHNIQUES DE LA TÉLÉ-RÉALITÉ

Pour booster l' audience, certains fabricants de télé-réalité ont mis au point des techniques qui ont pour effet de stresser, déstabilis­er, désoriente­r les candidats. Interrogé par Causette, un agent double la mèche. Que du bonheur! Enfin presque.

- MARIE HAUTERIVES ET ÉLISE CASTAING SÉBASTIEN THIBAULT/ANNA GOODSON POUR CAUSETTE

Quelques jours avant le début de l’émission, la procédure d’enfermemen­t commence : « On met tous les candidats dans des hôtels différents et les assistants leur enlèvent leur portable », raconte celle que nous appelleron­s Marion, haut gradée de Secret Story, notre agent double dans les coulisses de la télé-réalité.

Pour sa huitième saison, cette émission, produite par la société Endemol pour la chaîne TF1, a accueilli Vivian et Nathalie, couple corse séparé par vingt et un ans d’écart. Elle, jolie commerçant­e de 43 ans, sort depuis près d’un an avec lui, jeune éphèbe bodybuildé de 22 ans. Leur secret ? L’amour n’a pas d’âge. Avant d’être sélectionn­és, ils ont, comme tous les autres candidats, passé un entretien un peu particulie­r dans les locaux de la Plaine Saint-Denis, en région parisienne. « On leur demande les trucs les plus fous qu’ils ont faits dans leur vie, genre s’ils ont fait l’amour dans un parc ou sur la plage, pour voir s’ils sont un peu exhibos… Pourquoi ils veulent faire de la télé, jusqu’où ils sont prêts à aller pour devenir célèbres », détaille Marion, avant de préciser : « On veut des gens décomplexé­s, avec des failles narcissiqu­es. » Des « failles » qu’elle et son équipe vont exploiter dès qu’il s’agira de faire remonter l’audience.

Car l’audience des émissions de téléréalit­é n’est plus ce qu’elle était. Avant, aux grandes heures du Loft, en 2001, « on faisait 7 millions en regardant des poissons dans un bocal. Maintenant, on atteint péniblemen­t 2 millions, et il faut que les poissons fassent des choses », déplore Marion. Bilan : dès que l’audience passe au-dessous de 1,6 million, le plan Orsec est déclenché.

Démonstrat­ion

Un matin chagrin à 1,4 million de téléspecta­teurs, la production d’Endemol a le moral au plus bas, l’émission vient d’atteindre l’un de ses plus mauvais scores. Pour appâter la ménagère, la production va alors délibéréme­nt créer un conflit entre les candidats. Rien de plus facile, il suffit de s’appuyer sur l’une des failles narcissiqu­es des deux tourtereau­x : la jalousie. Une soirée « bisous » est organisée le soir même dans la maison, sur le thème : « embrassez qui vous voudrez ». Les lèvres de Nathalie effleurent celles d’Aymeric, le concurrent de Vivian. La courbe frémit, mais cela n’est pas suffisant. Pour gagner en tension, la production décide de séparer le couple : « On a fait exprès de mettre Nathalie et Aymeric dans une maison à part et de ne diffuser à Vivian, resté avec ses camarades, que des montages ultrasugge­stifs de sa copine avec un autre. » Vivian est fou de jalousie, Endemol est ravi, la courbe est repartie.

Les candidats sont- ils dupes ou se laissent-ils faire ? On a posé la question à Nathalie. Dans sa chambre d’un hôtel parisien, on l’interrompt en plein brushing à la veille de son départ pour Les Anges, la télé-réalité de NRJ 12. En fond, le bruit d’un sèche-cheveux : « Je me suis bien dit que la prod voulait que je quitte Vivian pour Aymeric. Je serais passée pour une garce, mais ça aurait fait du buzz », analyse-t-elle, lucide. Si elle a compris le système, pourquoi alors ne s’est elle pas rebellée ? Sans le savoir, Nathalie va alors nous mettre sur la piste d’une autre technique, la perturbati­on des repères temporels : « En

fait, on n’a pas l’heure, on tourne énormément, on n’a plus aucun repère, alors on se laisse faire. Ce n’est qu’à la sortie qu’on s’en aperçoit, en regardant la télévision. »

L’absence d’heure, autre botte secrète des télé- réalités. Les candidats n’ont aucune idée de l’heure qu’il est, et « rien que ça, ça les rend très malléables. Vous ajoutez l’absence de télévision, de radio, de téléphone portable, de contact avec les proches, et vous en faites ce que vous voulez », lâche Marion. « C’est sûrement illégal, cette absence d’heure, de téléphone, de liberté de mouvement pendant trois mois, s’interroge- t- elle à haute voix, mais je crois qu’il y a un vide juridique, car personne n’avait inventé un

“Ajoutez à l’absence d’heure l’absence de télévision, de téléphone portable, de contact avec les proches, et vous en faites ce que vous voulez ” Marion, haut gradée de Secret Story

système pareil depuis le cachot au Moyen Âge. »

En réalité, cette faille a été comblée depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2009. Ce jour-là, TF1 a été condamné à salarier les candidats de L’Île de la tentation, qui n’étaient que défrayés. C’est la jurisprude­nce Assous, du nom de ce fringant avocat parisien qui a défendu près de quatre cents candidats de télé-réalité pour non-respect du droit du travail.

Violence

Pull sans tee-shirt, baskets et sourire aussi carnassier qu’enjôleur, Jérémie Assous nous a reçues dans son cabinet. « La téléréalit­é, c’est une fraude sans cesse renouvelée dont sont témoins chaque soir les téléspecta­teurs, le ministère public et l’inspection du travail », s’insurge-t-il. Naïvement, on pensait qu’avec ces condamnati­ons en rafale les sociétés de production avaient balayé devant leur porte. « Les boîtes de prod font signer des contrats de travail de 35 heures hebdomadai­res aux candidats qui travaillen­t entre 70 et 90 heures par semaine. Ainsi que le déplorait mon confrère et conseil de la société TF1 Emmanuelle Barbara, “le problème des producteur­s réside dans le fait que la loi française n’autorise pas encore les employeurs à faire travailler les salariés 24 h/24 !” » Et de poursuivre : « Non seulement le droit du travail n’est pas respecté, mais la privation de communicat­ion, la privation d’aller et venir, la privation de repères temporels sont des infraction­s pénales. Pour les prud’hommes, il s’agit d’atteintes aux droits fondamenta­ux. » Maître Assous se surprend à rêver de condamnati­ons au pénal pour « travail dissimulé » et pour « complicité de violences ».

« Violence », le mot est lâché. Stressés, désorienté­s, certains candidats craquent et se livrent à des actes de violence. C’est l’une des facettes les plus confidenti­elles de la télé-réalité, celle que certaines sociétés de production cherchent à taire à tout prix, tant elle pourrait être désastreus­e pour l’image des chaînes qui diffusent leurs émissions.

Cette année, Marion a compté une petite dizaine d’échauffour­ées, comme Vivian projeté contre un mur ou Aymeric traînant Sara par les cheveux. Des coups et blessures interrompu­s en urgence par les deux vigiles qui stationnen­t en permanence dans la maison des secrets. Si le beau gosse de la saison, Aymeric, nie en bloc, Nathalie reconnaît que « ça a été très chaud entre Aymeric et Vivian ». À l’arrivée, cette année, trois exclusions, officielle­ment pour « mauvais comporteme­nts » – Aymeric et Sara suite à l’incartade capillaire et Abdel pour bagarre avec Vivian –, officieuse­ment parce que sans l’interventi­on des vigiles, « ça aurait pu laisser des traces de coups visibles. Dans la vraie vie, quand vous vous embrouille­z avec quelqu’un, vous pouvez sortir prendre l’air pour évacuer, là non. N’importe qui soumis à des conditions pareilles deviendrai­t violent, la seule différence, c’est que nous on ne fait pas l’erreur d’y aller », fanfaronne Marion.

Il existe des preuves des violences filmées lors des enregistre­ments : « On les voit arriver sur le serveur, bardées du mot “juridique” en bas de l’écran. Cela signifie qu’il ne faut pas les diffuser sans les avoir montrées au service juridique. Ce sont soit des bastons, soit des candidats qui ont couché ensemble sans la couette, ce qui nous donne un bon porno gonzo indiffusab­le à une heure de grande écoute », rapporte un témoin qui a pu visionner les rushs. Des images qui n’ont que quelques heures de durée de vie, elles sont effacées dans la journée, car elles tombent sous le coup des préconisat­ions du Conseil supérieur de l’audiovisue­l (CSA), qui interdit la diffusion de programmes « attentatoi­res à la dignité de la personne humaine, notamment les

“N’importe qui soumis à des conditions pareilles deviendrai­t violent, la seule différence, c’est que nous on ne fait pas l’erreur d’y aller ” Marion

programmes qui sont consacrés à la représenta­tion de violences et de perversion­s sexuelles, dégradante­s pour la personne humaine ou qui conduisent à son avilisseme­nt ».

D’autres images ne seront jamais montées ni montrées au très sérieux CSA, et encore moins au public familial des grandes chaînes, ce sont celles des bouteilles d’alcool servies aux candidats. Une substance qui, en plateau, attiserait les tensions plus qu’elle ne les apaiserait.

Si l’alcool reste plutôt rationné sur Secret Story – « C’est trop compliqué de manipuler quelqu’un de bourré », explique, pragmatiqu­e, Marion –, il coule à flots sur d’autres programmes, comme Les Ch’tis ou Les Marseillai­s, diffusés sur la chaîne W9, petite soeur de M6. Ces émissions, quintessen­ce du régionalis­me de gogo-danseurs, sont tournées sous perfusion éthylique. Antoine, assistant monteur, raconte : « Évidemment qu’il y a de l’alcool, la plupart des candidats travaillen­t dans le “milieu” de la nuit. La prod fait attention à ce qu’on ne voie rien à l’antenne, mais ça demande un énorme travail de floutage en postproduc­tion, car il y a toujours une bouteille de vodka qui traîne sur une table. » Un alcoolisme qui serait même organisé par les chaperons de la production. Le matin, les agents de sécurité ravitaille­nt les Ch’tis ou les Marseillai­s avant le tournage.

Substances prohibées

« Sur les rushs, on entend tous les jours : “Ah ! super, l’alcool est arrivé”, puis il y a les séquences interrompu­es parce que les candidats sont trop alcoolisés », poursuit Antoine. « Il y a aussi les drames du HF [ce petit micro que les participan­ts portent en permanence et qu’ils finissent par oublier, ndlr], quand ils vont aux toilettes pour “taper de la coke”. J’en ai entendu un qui criait : “Plein le nez, plein le nez !” pendant une heure, jusqu’à l’interventi­on de la prod qui lui a demandé d’arrêter. »

Marion Fontana, barmaid belge et tatouée, recrutée sur Les Ch’tis, à Marbella, pour pimenter le nordisme du casting, ne s’est pas fait prier pour confirmer l’omniprésen­ce des substances sur le tournage. « La coke, il ne faut pas être très malin pour deviner qu’il y en a partout. On la trouvait nous-mêmes en boîte de nuit, et on consommait aux toilettes pour être discrets. » La poudre blanche est avant tout un palliatif à de très longues journées de tournage : « On ne dort que quatre heures par nuit dans ces émissions. Moi, j’en prenais pas, mais j’étais obligée de me bourrer la gueule pour tenir le coup. » Si Les Ch’tis et Les Marseillai­s trouvent la cocaïne eux-mêmes, les boissons sont en revanche financées par la production : « Ils nous disent : “Servez-vous, mais ne le montrez pas.” On a souvent une bouteille de vodka pour l’apéro, et après, en boîte de nuit c’est all in, on paie rien, ça arrive comme par magie sur la table. » Marion finira le tournage à l’hôpital avec une cystite pour surconsomm­ation d’alcool.

Un ancien journalist­e, anonyme lui aussi, confirme la violence de certains candidats lorsqu’ils sont sous l’empire de l’alcool : « Moi, Les Marseillai­s, je ne veux plus y aller, j’en pouvais plus de voir les candidats frapper leur femme. Deux sur cinq étaient violents, on devait souvent les arrêter. Dès qu’ils avaient bu et qu’il y avait une dispute, c’étaient des animaux, ça partait en bagarre. » Lors de la dernière saison des Marseillai­s à Rio, Stéphanie, l’une des candidates, a fini à l’hôpital, une blessure au genou, après une altercatio­n avec Antonin, son ex-compagnon. Officielle­ment, il n’y a pas eu « altercatio­n » mais « bousculade » : à force de jouer avec les gens, on finit aussi par jouer avec les mots.

Violences physiques, violences psychiques, une dernière question reste sans réponse : pourquoi les candidats s’entêtentil­s à garder le silence ?

Pour le savoir, il a fallu aller frapper à la porte d’une sorte de VRP de la téléréalit­é. Pour Jeremstar (voir encadré), le très informé et influent blogueur de la télé-réalité, c’est une histoire de contrat,

“ Elle a hésité à porter plainte, mais a renoncé car Endemol lui a parlé d’autres projets ” Jeremstar, blogueur de la télé-réalité

là aussi niée par les personnes impliquées. « Ni Stéphanie ni Antonin n’ont jamais confirmé parce qu’ils sont verrouillé­s par la confidenti­alité. Vu que tous les deux veulent continuer à faire partie des tournages des Marseillai­s, ils n’ont jamais reconnu les faits. » Pourtant, plusieurs sources, tant du côté de la production que de celui des candidats, nous ont confirmé l’existence de violences : « Des mecs qui frappent leur femme, malheureus­ement, ça arrive tous les jours. » Idem pour Sara, la jolie poupée blonde de Secret Story, traînée par les cheveux sur plusieurs mètres par Aymeric cette année : « Je l’ai eue au téléphone, elle en pleurait. Elle a vu un psychologu­e à sa sortie de l’émission. Elle était très contente que j’en parle, car elle n’osait pas le faire. Elle a hésité à porter plainte mais a renoncé, car Endemol lui a parlé d’autres projets. »

Malgré ces dérives, aucune plainte au pénal justement : les sous-stars de la téléréalit­é semblent être maintenues dans l’espoir de pouvoir repasser à la télé et d’atteindre le Graal du statut de « candidat profession­nel ». Nathalie, la cougar de Secret Story 8, finira par l’avouer : « C’est vrai, il y a eu des moments très violents, mais j’ai une interdicti­on formelle d’en parler, c’est écrit dans mon contrat. » De là à dire qu’il y a une omerta, il n’y a qu’un pas.

“On ne dort que quatre heures par nuit dans ces émissions. […] J’étais obligée de me bourrer la gueule pour tenir le coup ” Marion Fontana, recrutée sur Les Ch’tis à Marbella

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