Causette

Marie-Anne Mormina : “J’avais si mal pendant mes cycles que je m’évanouissa­is”

Parce que la femme, la maman et la putain ne sont pas toujours celles que vous croyez, et surtout parce qu’elles sont souvent une seule et même personne, “Causette” s’est plongée dans la vraie vie. Comment vivons-nous notre vie sexuelle ? Loin des sondage

- PROPOS RECUEILL IS Par Ag nès Giard

« Je suis née à Casablanca, au Maroc, en 1978 et j’ai grandi à Lyon, puis à la campagne, en Isère, entre un papa chef d’entreprise et une maman aide-comptable, qui m’ont appris à ne pas avoir honte de mon corps. À la maison, il n’y avait pas de fausse pudeur, ce qui m’a beaucoup aidée à parler de ma maladie : l’endométrio­se 1. Elle frappe plus d’une femme sur dix, soit 3 millions de personnes en France. Pourtant, personne n’en parle. C’est tabou. Résultat : les femmes mettent en moyenne sept ans avant de savoir pourquoi elles souffrent lorsqu’elles ont leurs règles. En sept ans, l’endométrio­se a eu le temps de faire tellement de ravages que 30 à 40 % d’entre elles deviennent stériles. Moi, j’ai eu de la chance… si l’on peut dire.

Tout a commencé le jour de mes règles, à 13 ans. Je me rappelle que je revenais du marché à vélo, j’avais mal au ventre. Je suis allée aux toilettes et j’ai vu du rouge sur ma culotte. J’ai compris illico. Ma soeur aînée souffrait le martyre depuis des années à chaque fois qu’elle avait ses règles. Lorsque ma maman est rentrée, j’étais prostrée sur mon lit. Elle m’a rassurée en me disant que je pouvais très bien ne pas être comme ma soeur… Alors on a annoncé avec fierté que je les avais à notre entourage, et tout le monde m’a félicitée !

Au début, ça allait. J’avais bien comme un poids dans le ventre à ce moment-là, mais rien de méchant. Puis, ça s’est corsé. J’avais de plus en plus mal et des symptômes prémenstru­els importants. Un médecin m’a prescrit la pilule, mais ça n’a pas réglé le problème. Je me suis faite à l’idée de n’être « pas bien » pendant quelques jours. Quand je voyais l’état de ma soeur, je me disais que je n’avais pas à me plaindre. Quant aux médecins, ils ne disaient rien. Le problème est venu lorsque je suis tombée amoureuse. Ma première fois a été très belle. Curieuseme­nt, j’ai eu mal après. J’ai pensé que c’était normal, que l’orgasme devait tout bouleverse­r dans le corps ! Mais même au bout de plusieurs fois j’ai continué à avoir mal.

Puis ça s’est gâté. J’avais l’impression de me faire éventrer à coups de couteau. On m’a diagnostiq­ué l’endométrio­se. J’avais alors 21 ans et j’étais folle amoureuse d’un homme qui, petit à petit, s’est éloigné devant l’ampleur que prenait ma maladie. Ça a été un choc terrible. J’ai pris 30 kilos en un an sous l’effet de traitement­s hormonaux. J’ai commencé à penser que je n’étais pas « aimable » et que je ne pouvais pas demander à quelqu’un de partager cette vie pourrie alors que, moi-même, si j’avais pu me quitter, je l’aurais fait ! J’ai subi plus d’une dizaine d’opérations, testé tous les traitement­s allopathiq­ues existants – ou presque – sans aucun effet. Je faisais des rechutes alors que j’étais sous traitement GnRH 2. Les médecins ne me croyaient pas. J’ai été ménopausée pendant plus de deux ans sous l’effet des agonistes de la GnRH alors que j’avais moins de 25 ans.

Et puis une rémission m’a redonné l’espoir. Je suis allée sur Internet pour rencontrer un homme ; je l’ai trouvé. Pendant de longs mois, nous n’avons fait que discuter. J’ai tout dit, très vite. Il était soucieux de mon état… Puis j’ai fait une rechute. Hospitalis­ation. Opération.

À ma sortie, nous avons décidé de nous rencontrer : coup de foudre. J’ai su à la seconde que c’était Lui, l’Homme de ma vie : doux, prévenant, attentionn­é. Ça aide beaucoup. Sexuelleme­nt, c’était parfait aussi, même s’il a fallu apprendre ce qu’il était possible de faire ou pas, comment prendre du plaisir l’un et l’autre, quelles étaient les limites et les zones « free tax » .

J’avais 26 ans. En moins de six mois, nous vivions ensemble, étions pacsés, achetions un appartemen­t et décidions d’avoir un enfant. Nous savions que c’était une course contre la montre, que chacun de mes cycles m’abîmait un peu plus [l’endométrio­se se développe un peu plus à chaque cycle, ndlr]. Il a fallu faire une PMA. Nous avons commencé par toute la batterie d’examens. J’ai appris que mes ovaires fonctionna­ient ! Deux mois plus tard, je faisais une rechute. Ma gynéco a décidé de passer à la FIV directemen­t.

Je suis tombée enceinte. Notre petit miracle a 9 ans passés aujourd’hui. Je dis miracle, parce que nous n’avons jamais pu avoir un autre enfant, malgré deux FIV très difficiles et douloureus­es. Il était même étonnant que mon corps ait pu fonctionne­r la première fois. Après cette grossesse, j’ai eu une rémission, mais au bout de deux ans et demi… la descente aux enfers. Je faisais des malaises tellement j’avais mal. Parfois, il fallait me conduire, à demiévanou­ie, aux urgences pour me faire injecter un cocktail d’antalgique­s et d’anti-inflammato­ires afin que la souffrance redevienne juste tolérable. J’ai testé tous les antidouleu­rs. Des pontes ont osé me dire que je n’avais rien. En fait, j’étais envahie. Certains organes étaient comme rongés par l’endo, j’en avais jusque dans les intestins et sur les uretères ! J’ai subi une ablation de l’utérus, de l’ovaire et de la trompe de droite. J’ai commencé à vivre à… 34 ans. À 35 ans, j’étais en périménopa­use, puis, l’été dernier, à 36 ans, j’ai fait une rechute. Drôle de vie n’est-ce pas ?

J’ai créé une associatio­n : Lilli H contre l’endométrio­se. Il faut que des traitement­s soient trouvés. Or, jusqu’ici, aucune recherche n’a été financée dans ce domaine. Les investisse­urs ne s’intéressen­t pas aux maladies inconnues : elles ne sont pas « bankable » . Raison pour laquelle c’est aux malades de faire connaître cette endométrio­se qui conduit bon nombre d’entre elles au suicide. Saviez-vous que Marilyn Monroe l’avait ? Non, personne ne le sait.

Pour la plupart des gens, avoir mal pendant les règles, c’est normal. Parfois, oui, c’est normal. Mais, parfois, c’est à cause d’une maladie pour l’instant incurable qui concerne 180 millions de femmes sur la terre, qu’on laisse souffrir en vain dans l’ignorance, le déni et la honte. »

“J’ai commencé à vivre à… 34 ans. À 35 ans, j’étais en périménopa­use”

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