Causette

Vos notes de frais, s’il vous plaît !

Depuis 1978, une loi permet à tout citoyen d’exiger de n’importe quel élu qu’il donne accès à ses notes de frais, ses courriers, et même ses e-mails. Causette s’est prêtée à l’exercice et livre son petit manuel du citoyen éclairé.

- Par Lorraine de Foucher

Nous sommes en 1978. Alors que Valéry Giscard d’Estaing gouverne la France, une loi, promulguée dans l’indifféren­ce estivale d’un 17 juillet, consacre le droit des citoyens à avoir accès aux documents administra­tifs. Dans son sillage, la commission d’accès aux documents administra­tifs, la Cada, est créée.

Vous avez toujours rêvé de connaître les notes de frais de Patrick Balkany ? Le budget cigarettes annuel du Sénat ? Il suffit simplement de le demander à l’administra­tion concernée. Et, en cas de refus, de saisir la Cada * pour débloquer les informatio­ns. Deux seules restrictio­ns : le secretdéfe­nse et la vie privée.

Usant de ce droit, Causette a décidé de tester pour vous la « transparen­ce administra­tive ». L’actualité récente nous avait désigné un terrain de jeu : la mairie de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), fief de Patrick Balkany, maire de la ville la plus endettée de France. Pourquoi ces dettes ? L’édile aurait-il un peu forcé sur le champagne, les petits fours et autres subsides de représenta­tion ? Demander à avoir accès à ses notes de frais pouvait peut-être nous apporter des éléments de réponse.

Méla nge des genres

Nous voici à la mairie de Levallois-Perret. « Peut-on consulter vos notes de frais sur les six derniers mois, s’il vous plaît ? » À l’accueil, deux hôtesses nous renvoient vers un prospectus décrivant la répartitio­n du budget 2014, en mode graphique pour enfants, sur fond d’imagerie florissant­e. Déception : « Heu, là, non… Ce ne sont pas

des notes de frais. » Devant notre insistance, on nous envoie vers le service communicat­ion. Celui-ci est suspicieux d’une telle requête… par les temps qui courent pour son patron. Il nous renvoie vers le service financier, qui nous indique le service documentat­ion… « Ne quittez pas, un opérateur va prendre votre appel », bip bip, musique d’attente, trois concertos de Vivaldi plus tard, une employée tombe de l’armoire. Personne n’avait eu l’étrange idée de vouloir consulter les comptes de la ville. Une, deux, trois relances, une évocation de la loi de 1978, et là, trois cents pages atterrisse­nt dans notre boîte e-mail.

Un amoncellem­ent de données qu’il faut savoir lire. Dans ce fatras d’informatio­ns, point de nombre de caisses de champagnes ou de boîtes de cigares, mais des informatio­ns éloquentes sur les finances de cette municipali­té : les frais d’honoraires d’avocats et de contentieu­x de la ville s’établissen­t à 1,3 million d’euros par an. L’un des cabinets d’avocats de la ville de Levallois, le cabinet Lafarge, est aussi celui du maire, Patrick Balkany, actuelleme­nt mis en examen pour corruption passive et blanchimen­t de fraude fiscale. Une drôle de coïncidenc­e.

Le tombe urde la ca isse noire des parle mentaires

Que nous apportent ces informatio­ns ? Un droit de regard critique sur la gestion d’une ville, un aperçu de ses priorités. Mais pas uniquement. Si tout citoyen faisait usage de ce droit, les politiques, les administra­tions sauraient que ledit citoyen veille au grain. Car cet indispensa­ble outil démocratiq­ue a déjà permis de nettes avancées sur le front de la transparen­ce. Hervé Lebreton en témoigne encore. Il est le tombeur de la réserve parlementa­ire, cette caisse noire de 150 millions d’euros versée chaque année aux députés et aux sénateurs.

À l’origine, il y a la crise de la quarantain­e de ce professeur de mathématiq­ues qui s’ennuie et cherche à s’engager civiquemen­t. Armé de la loi de 1978, il s’en va solliciter le député de sa circonscri­ption et président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, un certain Jérôme Cahuzac, « ça ne s’invente pas ». En 2011, il écrit à Jérôme Cahuzac puis aux ministères de l’Intérieur et du Budget pour avoir accès aux crédits 122-01, appelés « aide exceptionn­elle aux collectivi­tés territoria­les ». Premier refus d’une longue série. Pourtant, Hervé Lebreton obtient un avis favorable de la Cada, mais les documents restent sous clé. Il persiste et assigne, avec un recours devant le tribunal administra­tif : « ça a été un calvaire, j’ai essuyé trois fermetures d’instructio­n au cours du procès. Tout a été fait pour ralentir la procédure. »

Et puis, un beau matin de l’été 2013, il obtient gain de cause, et des milliers de pages PDF arrivent sur sa messagerie électroniq­ue, envoyées par les services comptables de l’Assemblée nationale. Il s’agit des données d’octroi de subvention des députés aux communes. Commence alors un travail de fourmi pour tout éplucher : « Les documents vous parviennen­t à l’état brut, encore faut-il savoir les lire et les interpréte­r. » À l’arrivée, Hervé Lebreton constate le règne du clientélis­me : « Si tu me soutiens, je t’aide à construire le nouveau centre aquatique de ta commune. » Depuis, le Palais-Bourbon publie lui-même « la réserve » parlementa­ire sur son site Internet.

Parce que trop rares sont encore les citoyens à user de leur droit d’accès aux documents administra­tifs, tout aussi rares sont les administra­tions qui, dans les faits, le respectent. Pour le contourner, elles font parfois preuve d’une certaine mauvaise volonté. Comme à Levallois, où nous avons été noyés dans les trois cents pages d’un budget municipal sans aucune mention des notes de frais. Transparen­ce ? En demi-teinte, alors.

“Ça a été un calvaire, j’ai essuyé trois fermetures d’instructio­n au cours du procès. Tout a été fait pour ralentir la procédure ” Hervé Lebreton, qui a demandé, en 2011, l’accès aux documents liés à la réserve parlementa­ire

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