Causette

Coupe du monde de foot Nos voeux pour les Bleues

Le 6 juin, c’est le coup d’envoi de la Coupe du monde de foot féminin au Canada. Et les Bleues font partie des favorites. De quoi faire descendre des millions de supporters dans la rue en cas de victoire ? C’est loin d’être sûr, car pour la consécrati­on d

- par Pauline Marceillac

Plus de 2 millions de licenciés pour l’année 2014 : un chiffre qui faisait dire à Noël Le Graët, président de la FFF (Fédération française de football) que « la France est une grande nation de football ». Oui, et le foot est partout, il se conjugue au masculin… et au féminin. Mais ça, c’est moins connu. Pourtant, l’équipe de France féminine (troisième au classement Fifa, derrière l’Allemagne et les États-Unis) est l’une des favorites de la Coupe du monde qui débute le 6 juin au Canada. Or qui est capable de citer le nom d’une des joueuses ? Wendie Renard, Camille Abily, Eugénie Le Sommer, Amandine Henry, Laura Georges ou encore Gaëtane Thiney… sont les équivalent­s féminins des Zidane, Messi, Ronaldo et Ibrahimovi­c. Mais à un mois du Mondial, quand on tapait « Coupe du monde de football » sur les moteurs de recherche, la première occurrence qui tombait était le tout récent « tirage au sort pour la zone Asie en vue des éliminatoi­res de la Coupe du monde 2018 »… des mecs, donc.

« Pour que les gens s’intéressen­t au foot féminin, il faut que l’on soit médiatisée­s, et pour cela il faut qu’on fasse des résultats, encore et encore, qu’on aille le plus loin possible », lancent les internatio­nales Laura Georges et Gaëtane Thiney. Et de fait, leur demi-finale contre les États-Unis en 2011 avait permis à D8 (seule chaîne qui avait alors misé sur le foot féminin, avant que W9 ne rafle les droits de diffusion) d’exploser son record d’audience ! Peu de risques donc que les hommes se plaignent que leur conjointe squatte la télé tous les soirs une main dans la culotte, l’autre sur le verre de chardo… Pour la plupart des joueuses, le foot s’est invité dans leur vie naturellem­ent. Un père, des frères, des voisins avec qui elles tapaient le ballon. « Bien sûr qu’il y avait des remarques, mais très vite la rumeur se taisait lorsque les gars réalisaien­t que j’étais plutôt douée », se souvient Camille Abily, milieu offensif de l’Olympique lyonnais (OL). Lara Dickenmann, internatio­nale suisse, acquiesce à côté d’elle.

Les cl ichés perdurent

Sandrine Capy, ancienne gardienne de l’équipe de France, aujourd’hui entraîneur ( « entraîneus­e, c’est un peu connoté », dit-elle, amusée) du FC Étampes, qui évolue en Division d’honneur, le remarque chez les enfants aujourd’hui encore : « Si une fille joue très très bien, elle joue avec les garçons, mais si elle ne joue pas bien, ils ne lui feront pas de passes… C’est pour cela qu’à Étampes on a créé une section féminine, pour que chaque petite fille ait le droit de jouer, de pratiquer le sport qu’elle a choisi, qu’elle soit douée ou pas. » De leur côté, Camille et Lara constatent néanmoins qu’à 14 ans la différence physique entre garçons et filles devient plus importante : « C’est le moment où nous avons toutes cessé de jouer dans des équipes mixtes pour intégrer des clubs féminins. » Les filles estiment que, pour leur époque, elles ont eu de la chance d’être facilement admises parmi les garçons, mais pour Sandrine Capy, « les Français sont très machos » : « Je le vois avec certains parents qui sont carrément désespérés quand ils viennent – devant l’insistance de leurs filles – les inscrire au foot ! »

Les amalgames ont la vie dure : une fille qui joue au foot ? Elle est forcément lesbienne. Pour Audrey Keysers, coauteure de Football féminin. La femme est l’avenir du foot (éd. Le Bord de l’eau), il est évident que « derrière bon nombre de clichés puissants dans le sport il y a une homophobie latente ». Camille Abily nous confie que « certaines filles sont en couple avec des filles, d’autres

avec des hommes, et d’autres, encore, sont célibatair­es ». « Je crois qu’on représente assez bien la société civile, finalement », résume-t‑elle.

Les Latins,ces mac hos

Le premier championna­t de foot féminin en France est organisé dans les années 1920, mais en 1941, sous le régime de Vichy, les filles se voient interdites de stade, car la pratique est jugée « nocive ». Elle rendrait stérile… À partir de 1960, des Coupes d’Europe et des Coupes du monde pirates sont mises en places en marge de la Fifa, jusqu’à ce que cette dernière admette l’intérêt d’une telle compétitio­n en… 1991 ! Et il faudra attendre 2003 pour que les Bleues participen­t à leur première Coupe du monde. Ces filles-là sont pourtant des championne­s qui donnent envie de chanter cocorico. Mais malheureus­ement pour elles, elles ont décidé de pratiquer le sport qui appartient aux hommes, aux vrais… Aux Latins, en fait. Parce que chez les Suédois, les Allemands, les Américains, une fille qui joue au foot, c’est normal. Sonia Bompastor, ex-milieu défensif des Bleues et actuel entraîneur adjoint à l’OL, rappelle qu’ « aux États-Unis les gens aiment le sport en général, sans distinctio­n de sexe. Ils sont patriotes avant tout, donc peu importe que ce soit des filles ou des garçons qui gagnent, tant qu’ils vibrent ». Et toutes celles que Causette a rencontrée­s de préciser que le soccer américain est un jeu de filles, en opposition au football américain. Comme quoi chacun voit la virilité à sa porte…

Xavier Breuil, auteur d’Histoire du football féminin en Europe (Nouveau Monde éditions), analyse pour Causette que « le foot est, en Europe, le sport le plus populaire qui soit, et donc, par ricochet, un lieu de pouvoir politique. Dans notre inconscien­t populaire, il est des pratiques réservées aux mâles. Vous voyez beaucoup de femmes à l’Assemblée ? Non. Eh bien, sur un terrain de foot, c’est pareil : la femme n’y a pas sa place. Elles pourront gagner tout ce qu’elles veulent, elles ne suscitent aucune fierté nationale. » Ouch ! Même Audrey Keysers le reconnaît: « Bien sûr que l’intérêt pour le foot féminin va grandissan­t, mais encore faut-il mettre le nez dedans. Le grand public s’en fout toujours un peu. » Une réalité qui se vérifie aisément : lorsque vous demandez à des supporters de foot s’ils ont déjà regardé un match de foot féminin, en général ils répondent que oui, mais que sincèremen­t, c’est pas très intéressan­t. Sinon, ils s’étonnent qu’elles soient « plutôt jolies ». Un petit rire gras s’ensuit souvent. Quant aux noms des joueuses, certains citent Thiney, Georges ou Abily et estiment « qu’un match de l’équipe de France équivaut, question niveau, à un match de Ligue 2 ».

Une b onne volontés urle papier

Pourtant, la FFF est pleine de bonnes intentions : elle a mis en place une politique de féminisati­on, sur les plans aussi bien sportif qu’administra­tif, portée par Brigitte Henriques, secrétaire générale et responsabl­e

de la féminisati­on de la fédération. Côté personnel encadrant, la fédé s’est même fixé l’objectif de 40 000 femmes dirigeante­s d’ici à fin 2016 ! Et le président Noël Le Graët est, paraît-il, un fervent supporter de foot féminin, nous lâche Audrey Keysers, avant de préciser : « Cet attrait reste, selon moi, très politique. Il a saisi que la parité était dans le vent. » Intérêts financier et politique, bénéfices pour l’image, peut-être, mais ça a le mérite de faire bouger les lignes. La preuve avec l’Olympique lyonnais, qui fut l’un des premiers clubs, avec Montpellie­r, à miser sur le foot féminin. Le club rhodanien a permis d’ouvrir la voie de la profession­nalisation, puisque le PSG a rapidement suivi et que l’Olympique de Marseille devrait ouvrir une section féminine l’année prochaine.

Uns ponsoringe ncore timide

Pour Laurence Prudhomme-Poncet, auteure d’une Histoire du football féminin au XXe siècle (éd. L’Harmattan), il faut aller plus loin. Déjà en 2007, elle proposait d’imposer, par exemple, « des retransmis­sions télévisuel­les 1, ou que, de temps à autre, le match d’ouverture des compétitio­ns soit un match entre équipes féminines. Et ce qu’il faudrait avant tout, c’est que les sponsors prennent des risques » 2. Depuis 2011 et la demi-finale des Bleues en Coupe du monde, le sponsoring se développe pour les filles, mais jusqu’à très récemment, il s’agissait des mêmes sponsors que ceux de la FFF. Aujourd’hui, des groupes comme Carrefour ou Leroy Merlin font le pari du football féminin. Pour Éric Marchyllie, responsabl­e sponsoring chez Carrefour, financer les équipes féminines représente « plus qu’une quête de notoriété » : « C’est la création de proximité avec nos clientes et nos collaborat­rices que nous souhaitons développer. » Ah, on pensait que c’était pour la beauté du sport.

Qu’importent le fric et la politique, pour Gérard, secrétaire général du seul groupe de supporters de foot féminin, OL Ang’Elles, les filles « sont beaucoup plus accessible­s, sympathiqu­es, et sur le terrain elles m’épatent, je les trouve bien meilleures tacticienn­es. C’est magnifique de les regarder jouer quand on aime le foot », dit-il, l’oeil pétillant, en regardant les joueuses de l’OL s’entraîner. Ce soir d’avril à la Plaine des jeux de Gerland, à Lyon, ils sont nombreux à assister à leur entraîneme­nt. Il faut dire qu’à 18 heures les « garçons » y jouent. Beaucoup rallieront, d’ailleurs, le grand stade à l’heure dite, mais pas Gérard. Il a laissé tomber le foot masculin, comme Jacques, qui supporte le FC Étampes et nous confie que « franchemen­t, ça n’a rien à voir : les garçons sont physiques et misent tout sur leur puissance, les filles, elles, ont une technique incroyable ». Tous deux avouent ne plus supporter l’ambiance des gradins des matchs masculins et s’accordent sur le fait que « les filles ne simulent jamais sur le terrain, quand elles tombent c’est qu’elles se sont vraiment fait mal ». Pas d’insultes, pas de sifflets, pas d’« arbitre, enculé » scandé par la foule, pas de haine entre supporters… Non, rien de tout ça dans le foot féminin. « Chez les garçons, ce qui domine, c’est la tricherie, la provoc, les insultes. Chez les filles, c’est le respect, l’esprit de camaraderi­e et l’amour du jeu, dit Sandrine Capy. Je suis d’ailleurs scandalisé­e de voir des entraîneur­s ou éducateurs venir du foot masculin et tenter d’imposer leur vision agressive de la pratique chez les filles ! »

Finalement, on comprend que le foot féminin n’a presque rien à voir avec son homologue masculin : les mecs sont des stars, les filles sont « juste » des sportives (voir encadré). Et si, pour cette Coupe du monde, on se la jouait Ricains et qu’on scandait tous en choeur « allez les Bleues ! » ? Ce serait chouette, nom d’un petit crampon !

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Ashley Lawrence (en rouge, Canada) et Amandine Henry (France) lors d’un match amical à Bondoufle (Essonne), en avril.
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De gauche à droite. A. Hegerberg, C. Abily, E. Le Sommer et C. Petit, de l’OL, en avril, avec le trophée de la Coupe de France de foot féminin. Séance d’étirements pour Laura Georges, défenseure au PSG, quelques jours avant une rencontre amicale contre...

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