Climat : Les grands-parents se mettent au “vert”
Un vaste réseau international se fédère en silence. Des militants pas comme les autres tissent leur toile : influents, organisés, ils ont du temps et des moyens considérables. Extrêmement déterminés lorsqu’ils agissent, ils inquiètent même la police. Qui
« J’ai été très touchée par la naissance de mes petits-enfants… Dans quel monde vont vivre mes petites-filles ? » s’interroge Thérèse Snoy, 63 ans (et deux petits-enfants), fondatrice du tout récent mouvement belge des Grands-Parents pour le climat. Cette prise de conscience au moment de devenir grands-parents, presque tous les membres l’ont connue. Halfdan Wiik, 68 ans (et deux fois grand-père), a fondé en Norvège la Campagne des grands-parents pour le climat. Le mouvement, créé en 2006, compte aujourd’hui 1 200 membres actifs et 2 500 sympathisants. « En norvégien, grands-parents se dit “meilleurs parents”, alors, pour nous, c’était évident : il fallait agir, explique-t‑il. Le changement climatique est un danger mortel pour nos petits-enfants. Nous voulions poser la question de la justice entre les générations. » Thérèse Snoy, confirme : « J’appartiens à une génération qui a eu beaucoup de chance : soixante ans de paix et d’opulence, de croissance… Ce ne sera plus possible. » Soupir.
Très vite, dans le reste du monde, l’idée se répand – quand elle n’éclot pas spontanément : Canada, États-Unis, RoyaumeUni, Danemark, Suède, Australie, Suisse, Belgique, partout des voix de baby-boomers commencent à s’élever. Leur but ? Changer les mentalités et, surtout, forcer les pouvoirs politique, économique et médiatique, jugés largement incompétents en matière d’écologie, à agir. Et vite.
Agit-prope t résea utage
Ces initiatives seraient peut-être restées confidentielles si les Anglo- Saxons, Britanniques et Nord-Américains en tête, n’avaient décidé de se confronter directement, avec un sens aigu de l’agit-prop, aux forces de l’ordre ! Et de là naît une série
de photos que les médias adorent : d’honorables têtes grises, menottées mais hilares, escortées par des policemen effrayés à l’idée de les brutaliser. « Nous avons écrit aux banques anglaises pour qu’elles cessent d’investir dans les énergies fossiles, raconte Phil Kingston, 79 ans, fondateur de la GFASE britannique (Grands-Parents pour une planète sauve). Comme elles ne répondaient pas de façon satisfaisante, nous en avons conclu qu’il fallait en occuper une. Le reste est entré dans l’Histoire. » Et les images ont fait le tour du monde. Pour autant, se confronter aux forces de l’ordre n’allait pas de soi : « Bien sûr, risquer l’arrestation nous fait peur, mais la sécurité future de nos petits-enfants passe en premier. L’avenir est tellement périlleux que je suis prêt à faire des choses que je n’aurais jamais envisagées auparavant. »
Ces actions très médiatiques restent l’exception. Autres pays, autres moeurs : « Nous, on ne s’oppose pas aux policiers, on est en Norvège, quand même ! » fait mine de s’indigner Halfdan Wiik, goguenard. Jean-Claude Lalou, vice-président de la branche suisse de Grands-Parents pour le climat, très helvétiquement correct, s’étrangle presque : « Ah non ! Ici, on n’est pas des activistes débridés ! On respecte les formes. Nous privilégions l’action par les urnes. » Julie Van Houtryve, jeune membre de Coalition Climat en Belgique, confirme : « L’action directe, ça peut bloquer les gens – y compris les jeunes –, ça n’attire pas tout le monde. » Pour influencer les décideurs, les seniors privilégient donc les autres leviers à leur disposition : « Certains de nos membres ont travaillé à l’étranger, notamment à l’ONU. Nous avons des contacts dans chaque pays et nous sommes en train de formaliser un réseau international, prévient carrément Halfdan, le Norvégien. Mais nous sommes aussi très actifs dans la rue : nous parlons aux gens. »
Le pouvoirdel
’argent
Ces associations savent aussi taper là où ça fait mal, au porte-monnaie. Car le silver power (le « pouvoir argenté », en référence aux tempes grises) est aussi le pouvoir de l’argent : « Nous proposons aux grands-parents de mieux placer leurs économies. On peut avoir une influence sur les caisses de retraite pour diminuer leurs placements carbone », explique Jean-Claude Lalou. Au pays des banques, l’argument financier pèse. « On est un lobby d’anciens qui tente de s’opposer au lobby des pétroliers » , explique-t-il. Les choses sont claires. Et elles vont vite : les anciens de tous pays se lancent sur les réseaux sociaux : projets de loi, préparation de procès, lobbying, tractages, sensibilisation, désinvestissement (des énergies polluantes), organisation d’ateliers, de manifestations, de marches, ils sont prêts à tout ! Pendant la conférence internationale sur le climat de Paris (COP21), fin novembre, ils seront là. La délégation belge prévoit même de débouler à vélo. L’équipée sauve-âge.
En attendant, un texte commun, la « Déclaration internationale des grandsparents engagés » – soutenu par Desmond Tutu, archevêque sud-africain, 83 ans, et James Hansen, célèbre climatologue de la Nasa, 74 ans –, a été rédigé : il exige de laisser les réserves fossiles dans le sol, de protéger l’Arctique, de limiter la consommation dans les pays riches. « Nous devons considérer l’épargne, la prudence et la modération comme des valeurs positives », affirme la déclaration, et, surtout, « nous adapter aux limites des ressources de la Terre ». Cécile Honhon, militante belge, 65 ans (et trois petits-enfants), conclut, philosophe : « C’est plus facile pour les grandsparents de changer : les personnes âgées ont déjà découvert leurs propres limites »