Causette

Le protecteur des moissons

Romain Gary disait : « Il n’y a pas d’homme sans part de poésie, […] sans la “part Rimbaud”. » Il suffit de se promener avec un filet à papillons pour la saisir. Dans la plus brève rencontre, dans la plus simple des situations…

- Par Sigolène Vinson Illustrati­on Camille Besse

Un petit village de l’Ariège, un petit café, une petite église. Posée sur le rebord d’une fenestrell­e de l’édifice, une tête sculptée. L’oeuvre ne ressemble à rien de connu dans l’art religieux. Mais peut-être a-t-elle quelque chose à voir avec l’art sacré. Une face plate, deux trous pour représente­r les yeux.

Un vieux monsieur musculeux et sec se dirige vers la terrasse du café. Il tient un sac rempli de champignon­s. À une jeune femme installée à une table, il fait respirer un cèpe : « Dites-moi un peu si ça ne sent pas la terre… » La fille hume le champignon et se fend d’un large sourire. Le vieil homme plonge la main dans son sac et brasse cèpes, pleurotes et trompettes­de-la-mort : « Les gens appellent ça trompettes-de-la-mort. En vérité, il faut dire cornes d’abondance. Les mots ont un sens. » La jeune femme est déjà séduite, elle l’interroge : « Que représente la sculpture à la fenêtre de l’église ? » Le cueilleur de champignon­s prend un air malin : « C’est une divinité païenne, le protecteur des moissons. »

Il explique qu’évidemment une telle divinité n’a rien à faire dans une église. La sculpture a longtemps été posée sur un muret à l’entrée du village. Mais des voitures loupaient le virage et fonçaient dans le mur, la faisant tomber. Décision a été prise de lui faire prendre de la hauteur.

Des moissons dans le coin, il n’y en a plus beaucoup. Les champs en terrasse qui couvraient la montagne ont disparu, les arbres ont tout repris. Le vieux dit : « L’agricultur­e faisait vivre… Enfin, il ne faut pas être triste, la forêt aussi peut faire vivre. Regardez ces champignon­s, on les trouve sous les fougères. Vous vous êtes déjà baignée nue sous une cascade ? Moi, oui. Pas de doute, la forêt peut faire vivre. » La jeune femme s’imagine retourner à la vie sauvage, elle soupire d’aise : « C’est le paradis ici… » Le vieil homme se roule une cigarette, il lèche le papier : « Il n’existe pas de lieu paradisiaq­ue. Même le plus beau château de marbre restera froid si on ne rêve pas. » Il tire une taffe : « Je vis plus haut dans la montagne, je suis le dernier habitant de mon village. Avant, nous étions neuf cents. Personne ne se doute de ça à la capitale. » Il fait un rond de fumée, puis un rond dans le rond : « Vous savez, je parle à une ourse. J’ai aussi pour compagnon un corbeau, Jacquot, et un écureuil, Ticouit. Vrai, il y a une autre manière de vivre, loin des choses dont on n’a pas besoin. » Avec une ourse, un corbeau, un écureuil.

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