Deniz Gamze Ergüven
Ce premier film a été l’un des temps forts de Cannes. Mustang conte l’histoire de cinq soeurs rebelles dans la Turquie contemporaine. Solaire, bouleversant, ce plaidoyer pour la liberté sort en salle dans la foulée de sa sélection à la Quinzaine des réali
« J’essaie de ne jamais me positionner comme une militante, parce qu’un discours pourrait corrompre mon film. Mais, bien évidemment, l’histoire que je raconte résonne avec ce qui se passe aujourd’hui en Turquie. » C’est le moins qu’on puisse dire ! Et Deniz Gamze Ergüven le dit bien. D’abord parce que cette fille de diplomate turc, à cheval depuis toujours entre Paris et Istanbul, maîtrise le français. Ça aide. Ensuite parce que cette ancienne élève de la Fémis est tout à fait raccord, dans la vie, avec son premier film. Vive, passionnée, à l’affût : ça donne envie de l’écouter.
« J’ai écrit le scénario de Mustang dans une sorte de transe. C’est Alice Winocour, la réalisatrice d’Augustine, qui m’y a poussée. Je l’ai rencontrée en 2011, à Cannes. Je sortais d’une grosse déconvenue : un projet de film qui se passait aux États-Unis, pendant les émeutes de Los Angeles en 1992. Je me suis beaucoup entêtée, mais je n’ai pas réussi à le monter. Me lancer dans l’écriture de Mustang relevait donc de la survie pour moi ! » Pas sûr, néanmoins, que ce nouveau projet ait été si facile à mener. Ne serait-ce qu’à cause de son sujet : la difficile émancipation de cinq soeurs rebelles, qu’un oncle et une grand-mère décident de cloîtrer dans leur maisonprison pour mieux les « dresser » au mariage. Thématique sensible, vu le contexte rigide de la Turquie du président Erdogan. Là même où Deniz l’entêtée s’en est allée tourner en 2014…
filmera vec d istance pour mieux montrer
« En 2012, lorsque j’ai commencé à écrire, on se posait déjà des questions par rapport aux libertés. Et puis il y a eu le mouvement protestataire de 2013. À l’époque, je vivais aux États-Unis. Je suis tout de suite rentrée en Turquie. Mais j’avais besoin de raconter ce qui se passait avec distance. » Un mot qui revient souvent dans la bouche de cette cinéaste en mouvement. Sans doute parce que cette distance lui permet de mieux voir, donc de mieux montrer. « Être une femme en Turquie aujourd’hui : voilà ce dont je voulais parler. Dire la sursexualisation. Là-bas, on ne peut pas concevoir une femme en dehors de ça. Et l’adolescence est un tournant pour la fille turque. Tout à coup, alors qu’elle est encore innocente, elle est rappelée à l’ordre. » La femme étant ressentie comme une tentatrice avant tout. Un constat personnel ? « Je suis partie d’une séquence que j’ai vécue, en effet. Mais je ne voulais pas que cela ressemble à mon histoire. » Distance, toujours…
Deniz, de fait, n’est pas dans une logique d’autofiction, même si, sourit-elle, le prénom de l’une de ses cousines se traduit en français par « petit cheval sauvage »… Comme le mustang du titre ! Une question de tempérament, au fond. Farouche, mais résistant : « J’aimerais que mon film génère de l’empathie. Et qu’il donne un petit souffle encourageant à tout un tas de filles concernées ! » Le souffle de la liberté.