Sufjan Stevens Intimement lumineux
Ses débuts remarqués il y a dix ans avaient peut-être un peu trop vite sanctifié le natif de Detroit comme le nouveau génie pop. Pourtant, malgré son talent impressionnant et des albums à l’univers et aux arrangements magiques, Sufjan Stevens a fini par se noyer dans son projet mégalo d’écrire un album pour chaque état d’Amérique (arrêté au deuxième, heureusement), ses récurrents ( et kitsch) albums de Noël ou encore son disque électronique sorti l’an dernier.
Comme d’autres avant lui, il s’est éparpillé, incapable de canaliser ce flot créatif ininterrompu. Jusqu’à ce Carrie & Lowell, une collection de onze chansons nées du choc et de l’introspection provoqués par le décès de sa maman. Un second abandon, en fait : Carrie, dépressive chronique et souffrant de diverses addictions, avait quitté le foyer familial très tôt, ne laissant au jeune Sufjan qu’une absence sans réponse, quelques bribes de souvenirs, Lowell, son beau-père brisé, et une vie d’une tristesse absolue. Le vide laissé a inspiré notre ami, jusqu’au sublime.
Faut-il donc souffrir autant pour toucher la beauté absolue ? La question mérite d’être posée tant la découverte de cet album emmène vers des sommets sensitifs. Dès les premières notes, une douce et chaleureuse mélancolie envahit la pièce. La sobriété des arrangements, le jeu épuré voire minimaliste des quelques instruments, une guitare aux accords légers, un peu d’orgue, quelques synthés laissent place à la pureté mélodique et dévoilent des sommets d’écriture pop ( 4th of July ou All of Me Wants All of You), des mélodies absolument saisissantes, aussi discrètes qu’entêtantes et intimement lumineuses.
Sans pathos aucun, avec dignité et élégance, l’auteur se met à nu, s’interroge sur ce sentiment inconnu ressenti à la mort de l’absente Carrie, sur cet amour inconditionnel et organique qui a résonné en lui à ce moment-là. Les mots, souvent murmurés, livrent des textes parmi les plus introspectifs qu’il soit donné d’entendre, tout en pudeur et en peine contenue, en questionnement plutôt qu’en certitudes.
Carrie & Lowell est un grand disque intime folk et pop qui explore avec une simplicité désarmante l’absence d’une mère, les choses jamais dites, les sentiments parfois si violents qui peuvent naître avec la mort ou l’amour.