Polars Quand la femme enquête
Elles sont inspectrices de police, détectives privées ou médecins légistes. De La Nouvelle- Orléans à Djedda, de Bologne à Delhi, ces héroïnes de polar tentent de s’affranchir des règles d’institutions qui souvent les oppressent, tout en s’échinant à faire respecter la loi. Petit tour du monde de ces aventurières d’un quotidien presque ordinaire. Quand, en 1930, Agatha Christie lance Miss Marple dans sa première enquête, L’Affaire Protheroe, elle campe une vieille dame qui ne sort guère de son village de la campagne anglaise. Au même moment, Dashiell Hammett et Raymond Chandler inventent, aux États-Unis, le roman noir hard-boiled : ils explorent les bas- fonds crasseux des grandes villes, révélant la violence sociale et les limites du rêve américain. Leurs « privés » sont des durs à cuire, et la femme y occupe un statut en général peu reluisant, étant soit la victime du meurtre, soit la fameuse « vamp » qui hantera le polar – et le film noir – durant des décennies.
Pas évident de bazarder un tel héritage et de proposer des héroïnes à la fois contemporaines, crédibles et engagées. L’ex-commissaire divisionnaire Danielle
Thiéry – première femme en France à avoir obtenu ce poste – a ouvert la voie à la fin des années 1990 en mettant en scène une commissaire parisienne, Edwige Marion, qui se débat dans un monde d’hommes contre une hiérarchie parfois grippée. Elle affronte un quotidien âpre et dur, et fait parfois elle-même partie des victimes : elle prendra une balle dans la tête au cours d’une enquête et devra travailler dans un état second.
des “privées” libertaires
Le polar est aussi une littérature de territoire, avec une géographie, une histoire et des mythologies qui définissent souvent des formes de délinquance spécifiques. Pourtant, chez Dolores Redondo, le quotidien de l’inspectrice basque espagnole Amaia Salazar n’est pas celui de la violence politique, mais celui des meurtres de femmes liés aux anciennes croyances païennes. Alors qu’Amaia est sur le point d’accoucher, c’est finalement son investigation sur sa propre enfance qui constituera le nerf de l’intrigue.
Elle ressemble un peu à la privée Giorgia Cantini – créée par Grazia Verasani –, qui officie à Bologne (Italie). Fan de rock gothique, Giorgia n’envisage ses enquêtes que sur des gens qui, eux aussi, ont un rapport étroit à leur passé. Giorgia ne cherche, en enquêtant sur des disparitions d’ados ou sur des meurtres de proches, qu’à réparer les vies brisées de ceux qui survivent. Elle poursuit inlassablement son engagement aux côtés de ces femmes victimes de la violence des hommes.
La « privée », c’est l’enquêtrice libertaire par excellence, qui n’est pas missionnée par les institutions pour préserver « l’ordre social ». Celle de l’Américaine Sara Gran, Claire Dewitt, à La Nouvelle-Orléans, est branchée rock psychédélique, mais elle a recours aux prédictions pour résoudre des mystères liés à des disparitions. Elle se sert de ses rêves, du savoir hérité d’un étrange détective français des années 1930, et n’a qu’un credo : « Il n’y a pas de victime innocente. La victime choisit son rôle aussi soigneusement et inconsciemment que le policier, le détective, le client ou le malfaiteur. »
cabossées mais combatives
Zoë Ferraris est l’auteure qui met le mieux en lumière le paradoxe auquel sont souvent soumises les détectives : servir la loi d’un « système » qui pourtant les oppresse. Son personnage récurrent, Katya Hijazi, est technicienne du laboratoire de médecine légale de Djedda, en Arabie saoudite. Elle aide son ami l’inspecteur Ibrahim à traquer un tueur en série. Respectueuse de la loi ? Pas vraiment : pour pouvoir travailler, elle fait croire qu’elle est mariée. La vraie nature de la violence est institutionnelle, et Katya doit se mettre en danger en contournant les lois, révélant leur cruelle absurdité.
« C’est nous qui nous occupons des hommes quand ils sont petits, quand ils deviennent grands, puis quand ils vieillissent et approchent