Gynécos sans frontières
De retour de mission de Madagascar, Serge Boyer, 67 ans, secrétaire général de Gynécologie sans fron‑ tières (GSF), évacue la fatigue du voyage pour partager avec enthousiasme son engagement. GSF, qui fête ses 20 ans, est l’unique ONG spécialisée dans la gynécologie. Elle est forte d’environ quatre cents adhérents et la plupart de ses acteurs de terrain sont des retraités, à l’instar du docteur Boyer, ancien gynécologue hospitalier à Draguignan, dans le Var.
Concrètement, l’action de GSF s’articule autour de deux types d’engagements : à l’étranger, sur des missions d’urgences gynécologiques, et en France, pour la formation des futurs volontaires à la gynécoobstétrique humanitaire ou pour la prise en charge des femmes ayant subi des violences, par exemple.
Actualité oblige, nous lançons l’entretien sur les camps de réfugiés syriens en Jordanie. Cette mission s’est arrêtée en 2013 avec les menaces de frappes aériennes sur la Syrie. Là-bas, GSF a accompagné près de 1 400 naissances dans l’immense camp de Zaatari, à la frontière syrienne (voir Causette #62). La question des barrières culturelles face aux actes gynécologiques se posant naturellement, Serge Boyer assure qu’il n’y a été confronté qu’en Jordanie. En général, « l’Européen a l’image du savant avec des moyens. Nous sommes donc bien accueillis partout. En Jordanie, avec les plus rigoristes des Syriens musulmans, nous nous limitions au rôle de superviseur des infirmières. Il était difficile pour un praticien d’examiner des femmes. L’échographie abdominale était tolérée à condition que les patientes ne se déshabillent pas. »
Sa plus belle expérience, il l’a vécue au Burundi au côté de Marguerite Barankitse, dans la Maison Shalom. Cette Tutsie, sur qui il ne tarit pas d’éloges, a recueilli plus de 30 000 enfants pendant les dix ans de guerre civile. L’association s’est dotée de l’hôpital Rema avec des unités de blocs qui n’ont rien à envier à l’Europe et que GSF a pu utiliser.
Dans ce pays, les praticiens de l’ONG ont été essen‑ tiellement confrontés à des prolapsus (descente d’or‑ ganes) et des fistules vésico-vaginales. « La vraie surprise a été le nombre important de fistules diagnostiquées. Du jamais-vu dans toute ma carrière en France », expliquet-il. Les Burundaises vivant souvent leur première grossesse très jeunes, les accouchements à domicile peuvent se révéler difficiles. Dans les dispensaires de brousse, les infirmiers ne sont pas outillés pour gérer les situations d’urgence. À l’arrivée tardive à l’hôpital de district, on constate le décès de l’enfant. En sus de cette terrible nouvelle, en raison d’une compression trop longue dans l’utérus, la paroi entre la vessie et le vagin de ces femmes est souvent nécrosée. Elles perdent leurs urines en continu et deviennent des parias de la communauté. La chirurgie réparatrice est pourtant peu compliquée, mais les médecins locaux manquent de savoir-faire. « Avec une hospitalisation de trois semaines à Rema, nous leur rendons une nouvelle dignité, nous affirme Serge Boyer. Au Burundi, cela concerne environ mille femmes par an. »
Sous l’impulsion du gynécologue, l’hôpital de Draguignan est jumelé avec l’hôpital Rema. Deux biologistes varois échangent régulièrement les résul‑ tats d’examens avec leurs collègues africains. Le matériel, comme les monitorings, déclaré obsolète en France sous la pression des fabricants, est envoyé sur place. « Mais l’Afrique ne doit pas devenir notre poubelle ! Dans tous les dispensaires africains, il y a du matériel inutile, sans mode d’emploi. La bonne démarche est de répondre aux besoins et mettre de côté nos représentations de nantis européens. »
Au Burundi, il y a seulement vingt gynécos pour 10 millions d’habitants ! Ceux-ci sont tous installés dans la capitale, en cliniques privées. « Ces praticiens pour riches ne savent rien des pathologies des pauvres