45 ans Charlotte for ever
On peut toujours tenter d’enfouir son passé, surtout celui qui a du mal à passer : on peut être sûr qu’il refera surface à un moment ou à un autre. Avec le risque de percuter violemment le présent. C’est à peu près ce qui arrive à Kate et Geoffrey, fringants septuagénaires nichés dans l’ondoyant Norfolk (ah, la divine campagne anglaise !). Tandis qu’ils s’apprêtent à fêter leurs 45 ans de mariage, le corps de Katya, premier amour de Geoff disparu cinquante ans auparavant lors d’une randonnée dans les Alpes, est retrouvé. Parfaitement conservé dans la glace. Le choc est brutal. Pour le mari aimant comme pour l’épouse attentionnée. Car des fissures de cette terre lointaine surgissent non seulement cette jeune femme morte, mais aussi des doutes, des regrets et des non-dits.
Au-delà de la finesse de sa métaphore, le nouveau film d’Andrew Haigh se distingue pour deux raisons. D’abord, il a l’excellente idée d’ausculter calmement l’explosion d’un couple. Privilégiant les silences, les regards et la litote. La tension n’en est que plus soutenue. Un peu comme si Ingmar Bergman, LE grand spécialiste du huis clos familial et des turpitudes conjugales (auquel Andrew Haigh a forcément pensé), s’essayait à l’art so British de l’euphémisme, rehaussé comme il se doit d’une pointe de stoï‑ cisme. Ensuite, il s’appuie sur deux comédiens remarquables de densité : Charlotte Rampling et Tom Courtenay. Rampling, qui parvient à suggérer un ouragan d’émotions derrière son fameux regard de chat, est carrément abyssale.