Causette

Dans la rue, le boss c’est lui !

- Liliane Roudière – Magali Corouge pour

Naples, Santiago, Soweto, Charlevill­e, Montauban, Ramallah, Naplouse, Jérusalem, Nice, Paris, Alger… Toutes ces villes gardent au coeur le passage d’Ernest Pignon-Ernest * (EPE). Des années après, les centaines de collages sur les murs de ces villes respirent encore. Déchirés, délavés, même disparus, ils ont à jamais inscrit l’histoire humaine dans ces lieux, l’éphémère faisant partie de l’oeuvre. Et cela grâce à la méthode EPE. Faire coïncider un lieu, une histoire, une image. Par exemple, lorsqu’il dessine son célèbre Rimbaud, il ne va pas le coller n’importe où. Chaque emplacemen­t aura un sens. Le postulat paraît simple, la réalisatio­n est beaucoup plus complexe. « Pour moi, il faut que l’élément de fiction que je glisse dans la réalité la perturbe, l’exacerbe, l’active. Que l’inscriptio­n de l’image fasse du lieu un espace plastique. Il faut savoir comment les gens vont la rencontrer pour qu’il y ait une espèce de face‑à-face sensuel, presque charnel. D’où l’idée de toujours travailler à l’échelle 1. Quand je vais coller quelque part, j’ai vu le lieu à différente­s heures de la journée, je sais comment la lumière l’éclaire, je connais la matière du mur, l’espace qu’il y a autour. J’ai une appréhensi­on de peintre ou de sculpteur. Je chope tout ce qui se voit dans le lieu et en même temps je lis, j’interroge les gens, j’essaie de saisir tout ce qui ne se voit pas : l’Histoire, la mémoire enfouie, le potentiel symbolique. Et c’est nourri de tout ça que je réalise mon dessin. »

Une fois ces centaines d’éléments et de sensations réunies, Ernest s’enferme dans son atelier à Ivry-surSeine ( Val-de-Marne), dessine en noir et blanc sur de grands pans de papier, chutes de rotatives (il y a l’imprimerie du Monde à Ivry). Puis, ses grands rouleaux de papier sous un bras et le pot de colle à l’autre, il va coller ses dessins sur le lieu choisi, et l’oeuvre prend forme : « Mes oeuvres ne sont pas mes dessins ou mes sérigraphi­es, ce sont les lieux eux-mêmes exacerbés. On a dit que je faisais des oeuvres en situation, en fait, je tente de faire oeuvre de la situation. »

Ébloui par les mystiques

En général, il colle seul, la nuit, passager clandestin. Les habitants découvrent au petit matin que leur ville a changé (voir le témoignage page 53). Parfois, la date du collage influe aussi sur l’oeuvre. À Naples, certains dessins, comme le corps dans le soupirail (voir page 52), ont été collés pendant la nuit du Jeudi au Vendredi saint, « un moment fort de superstiti­on, cela fait partie du climat, de la façon dont l’oeuvre sera reçue ».

Naples est la ville où son travail a été le plus complet. Il est tombé en amour, un jour, en écoutant une émission consacrée à la musique napolitain­e sur France Musique… Pergolèse, mais aussi O sole mio. « On passait de la musique la plus sophistiqu­ée à la plus

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