Causette

Livrothéra­pie

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Remèdes littéraire­s. Attention, il s’agit de la naissance d’une nouvelle science inexacte et revendiqué­e comme telle : la livrothéra­pie. Grâce à deux artistes anglo- saxonnes, Ella Berthoud, peintre, et Susan Elderkin, romancière, nous découvrons comment nous soigner par les livres. Une grippe ? Le Système D., de Thierry Marx, sera d’une efficacité redoutable et garantie sans somnolence. Vos acouphènes ne résisteron­t pas non plus à Freedom, de Jonathan Franzen. Enfin, La Vénus à la fourrure, de Léopold von Sacher-Masoch, calmera surle-champ jalousie et toute tendance à vous torturer vous-même.

Mode d’emploi : les prescripti­ons romanesque­s des deux auteures peuvent se lire d’une traite ou se consulter par ordre alphabétiq­ue, comme un dictionnai­re médical. Les ordonnance­s au ton décalé et à l’humour so British sont parfaiteme­nt adaptées pour contrer toute maladie déclarée ou en voie d’apparition chez vous ou chez vos proches. Particuliè­rement efficace également pour éradiquer toute forme de maladie liée à la lecture : concentrat­ion, peur de commencer un livre ou de dégarnir votre bibliothèq­ue si vous en prêtez un.

Posologie : autant que l’on veut puisque les oeuvres classiques, les romans cultes, les histoires mythiques de la littératur­e sont répertorié­s sous le prisme du bien-être et de la santé. Alors très vite les maux se dissipent pour laisser place aux agents actifs des mots : ceux de Jane Austen, de Salman Rushdie, d’Audrey Niffenegge­r, d’Albert Cohen ou de Charles Dickens, pour ne citer que ceux-là.

Sans contre-indication ni effet indésirabl­e, ce livre de 750 pages n’est pourtant pas remboursé par la Sécu. Mais si vous avez une bonne mutuelle… Nina Gary est une ado vive, curieuse, qui se passionne pour la danse classique. Elle vit dans le XXe arrondisse­ment de Paris, entourée de ses parents, de son frère et de son grand-père. Une famille ordinaire en apparence mais dont les ancêtres ont beaucoup voyagé, et plutôt de force que de gré ! Le père vient de Gambie, la mère est juive d’origine polonaise et le grand-père Yoram est, lui, revenu des camps… Nina ne ressemble à aucun de ses parents : « Mon père était noir comme mon sac de danse, ma mère pâle comme mes collants chair. » À 14 ans, après dix années de danse, elle se voit conseiller par Mme Leroy du Barry, sa prof, d’oublier la danse classique, car « le corps de ballet doit être homogène ». Puis le rabbin lui demande désormais de monter rejoindre les femmes à la synagogue le vendredi soir pour shabbat. Elle n’a plus le droit de chanter en bas avec les hommes. Nina comprend qu’elle est devenue une femme, une femme à cases : « J’ai en moi la déportatio­n, la colonisati­on, l’immigratio­n et, à la vitesse où vont les choses, je me demande ce que pourront inventer les prochains tyrans de l’humanité. Mais je serai plus rapide qu’eux. » Alors, au propre et au figuré, Nina va courir et concourir. Elle découvre l’athlétisme, c’est sur les stades qu’elle va se confronter à ses limites. Le corps est puissant. On entend le coeur palpiter, le sang circuler, les foulées s’enchaîner… L’étudiante, l’amie, l’amoureuse, la victime, la fille, la soeur : elle va apprendre à être tout ça à la fois. Saut d’obstacles permanent : « C’est difficile la liberté. »

L’écriture est très belle, joyeuse, facétieuse, rythmée, jamais misérabili­ste. Ce premier roman – autobiogra­phique ? – se lit d’une traite, sans gloutonner­ie, mais avec un appétit du tonnerre !

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