Robin campillo Sid ctiviste
Inspiré de l’expérience militante du réalisateur à Act Up dans les années 1980, 120 battements par minute, de Robin Campillo, est tour à tour euphorique, politique, romanesque et tragique. Il a d’ailleurs reçu le grand prix du jury au Festival de Cannes.
Causette : Vous aviez 30 ans en 1992, le moment où vous avez commencé à militer à Act Up. Vous êtes alors monteur à la télévision. Comment êtes-vous arrivé dans cette association de lutte contre le sida ?
En fait, il faut remonter un
Ro bin Campillo : peu plus loin... En 1982, on commence à parler des premiers symptômes de l’épidémie de sida. J’ai 20 ans, je suis un jeune gay lambda et je m’aperçois, soudain, que les choses vont être compliquées. Très vite, je passe du côté de la peur. Parce que, même si on en parle, en France, il n’y a aucune communication sur le mode de transmission du virus. D’ailleurs, je ne fais un test de dépistage que très tard. Donc je traverse les années 1980 comme un moment de silence. Brutal. C’est ce silence-là et la stigmatisation des trois H (homos, héroïnomanes et Haïtiens) qui me mettent en colère. Et m’amènent à Act Up Paris. Là, je découvre un groupe extrêmement joyeux. Des gens passionnants, qui viennent de milieux très différents, mais qui apprennent, ensemble, à produire une parole et une action communes. Une parole politique, sans langue de bois, que vous filmez au cours de nombreux débats. Un choix de mise en scène culotté…
À Act Up, il y avait souvent une sorte
R. C. : d’humour, voire de mauvaise foi, pendant les réunions. En même temps, quelque chose de très personnel pouvait affleurer. Autant de contrastes qui n’empêchaient pas, malgré tout, la puissance politique réelle de cette parole. C’est tout cela que j’ai voulu retrouver dans 120 battements par minute. La musique des débats, des voix. Les postures des corps, aussi : ce sont des gens, jeunes, qui engagent leurs corps, car leurs corps sont engagés dans la maladie. Donc on a fait de nombreuses répétitions avec les acteurs. Pour voir comment ils fonctionnaient ensemble, surtout. Car ce qui est important pour moi, au-delà de la parole, c’est sa circulation. D’abord, parce qu’en circulant, la parole construit des stratégies, des discours. Et, ensuite, parce qu’elle construit le groupe. L’idée du collectif parcourt en effet votre récit, que vous avez coécrit avec Philippe Mangeot, président historique de la section parisienne d’Act Up. En guise de caution morale ?
Non, j’avais moins besoin d’une cau
R. C. : tion morale que d’un regard. J’ai beaucoup écrit seul, en partant de mes souvenirs. Parfois en pleurant… En ce sens, c’est un film très proustien ! Mais j’ai quand même eu besoin de dialoguer avec quelqu’un pour ne pas louper des choses. Même si mon intention n’a jamais été de réaliser un film historique ! J’ai pris beaucoup de libertés. Disons que c’est une fiction qui part d’éléments réels... De toute façon, chaque fois que je fais un film, j’en discute avec des amis. Notamment avec Laurent Cantet, que j’ai rencontré à l’Idhec [l’Institut des hautes études cinématographiques, aujourd’hui La Fémis, ndlr], dans les années 1980. Je n’envisage pas de faire du cinéma autrement qu’à plusieurs ! Quatre figures de femmes, dont une interprétée par Adèle Haenel, émergent de votre portrait de groupe majoritairement masculin. Pourquoi ?
Parce qu’il y avait beaucoup de femmes
R. C. : à Act Up dans les années 1990. Très fortes, très impliquées dans l’action. À cette époque, comme on rattachait uniquement le sida aux hommes gays, je pense que les femmes lesbiennes avaient l’impression d’être encore plus invisibles. Elles ont eu besoin d’être dans ce combat pour exister. Car manifester, c’est déjà SE manifester.
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