Notre-Dame-des-Landes : au coeur de la ZAD
La construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est une patate chaude que les responsables politiques se renvoient depuis presque quarante ans. Nicolas Hulot, nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, promet une solution d’ici à si
Ce matin-là, nous sommes accueillis sur la lande par un crachin dont seule la Bretagne a le secret. Direction une petite maison en bois, chauffée à l’aide d’un poêle central, où vivent depuis cinq ans Laura 1 et son compagnon avec leur nourrisson. Amaury, autre habitant de la ZAD (zone d’aménagement différé), se joint à nous autour d’un café. Laura et Amaury ne parlent pas d’eux. Ce n’est pas de la fausse pudeur, ils considèrent simplement que l’important n’est pas leurs trajectoires individuelles, mais ce qu’ils mettent en place collectivement. Ils nous racontent leur expérience des lieux, et tout particulièrement du Rouge et Noir, le jardin maraîcher auquel ils participent, soit un champ et deux serres cultivés collectivement. Au fil de la conversation, on comprend que Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) a beaucoup changé ces dernières années, surtout depuis l’opération de police César,
de 2012, visant à évacuer les militants de la zone (lire encadré page 44). Les paysans historiques de la région et les « squatteurs urbains », comme Laura et Amaury, venus des quatre coins de la France, se sont alors retrouvés à lutter côte à côte pendant cinq mois, défendant les champs, occupant les fermes jours et nuits. Un dialogue s’est noué, les expériences de lutte se sont nourries, des liens forts se sont créés. Notamment lors de la défense du jardin collectif du Sabot. « Occuper des terres, c’est un acte de résistance. En cultivant, on a montré notre détermination à vouloir rester, en cultivant, on ne laissait pas les forces de l’ordre décider de notre quotidien », expose Laura.
Cinq ans plus tard, ces habitants sont euxmêmes surpris d’être encore là. En semant pour résister, ils se sont mis au diapason de la lutte paysanne. Laura et Amaury font ainsi partie des quelque 300 habitants vivant sur la ZAD, qui s’étend sur plus de 1 500 hectares. Les profils de ces zadistes sont multiples : aux paysans locaux se sont progressivement greffés écologistes radicaux, hippies, antiautoritaires, anarchistes, décroissants, squatteurs, antispécistes 2… Difficile, donc, de les appréhender comme un tout homogène ! Ce que nous découvrons ici ressemble plus à une communauté contestataire organisée en collectifs aussi divers que complémentaires.
Agriculteur et fréquentable
Sylvain Fresneau est l’un des paysans zadistes acceptant de nous recevoir. Ils sont une trentaine de personnes à avoir, comme lui, refusé de vendre et à travailler sur la zone. Né à Notre-Dame-des-Landes, il est ce qu’on appelle ici un « historique ». Fils de paysan, ce producteur laitier travaille avec son fils et fait partie des exploitants expulsables. Personnage incontournable et fort en gouaille, il aime raconter qu’il a bu des canons avec Mélenchon et Bové, dans sa cave. Il se rappelle aussi les premiers
moments d’occupation de la zone, où des militants vegan ou antispécistes ouvraient les barrières pour libérer les vaches. « Même entretenir les haies pouvait leur poser problème ! » raconte-t-il. Mais Sylvain sait aussi faire la part des choses. « On a appris à vivre ensemble, c’est pas toujours facile, mais tant qu’on arrive à parler, on peut s’en sortir. Maintenant, la grande majorité comprend qu’on peut être un exploitant agricole conventionnel et être fréquentable. » Il regrette tout de même de devoir toujours se justifier d’être chasseur. Mais l’équilibre global tient. Peut-être grâce au dialogue permanent et à un rapport au conflit sain et assumé.
Autour d’un jus de framboise maison, Camille 1, une ancienne squatteuse arrivée à la ZAD il y a sept ans, abonde dans son sens : « Avec les paysans, ça a été une grande rencontre. On s’est battus côte à côte, ensemble. Il n’y a pas de squatteurs qui soient restés urbains et de paysans n’ayant fait un pas vers les squatteurs. C’est très engageant et bouleversant. » Petit à petit, les squatteurs sont passés de l’occupation des maisons à l’occupation des terres, puis au travail de celles-ci. En cultivant la terre, ils ont accédé à un statut et à une reconnaissance de la part du monde agricole. Aujourd’hui, Camille est antispéciste, mais cela ne l’a pas empêchée de s’impliquer dans le « groupe vache », un collectif de la zone qui produit du lait à destination de la ZAD. Elle a appris à dépasser ses paradoxes à l’épreuve du quotidien.
Leçons d’autonomie à la Curcuma
Pour produire ce fameux lait, les néoruraux avaient besoin de foin pour nourrir leurs vaches. Les machines sont donc devenues nécessaires. Des membres du Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport (Copain) ont donné des vieux tracteurs pour aider les occupants. Là encore, Camille est allée au-delà de ses principes : « Si tu travailles à la main comme je l’avais imaginé, tu ne peux pas faire de la quantité pour soutenir d’autres luttes qui, elles, n’ont pas les moyens de produire. » Avec Amaury et trois autres personnes, Camille s’est mise à la mécanique agricole ! Ensemble, ils ont créé la Coopérative d’usure, de réparation, de casse et d’utilisation du matériel agricole (Curcuma). Le hangar, qu’ils ont transformé en garage, est équipé de tout l’outillage nécessaire. Ces zadistes ne cherchent pas l’autosuffisance, mais l’apprentissage de l’indépendance, de l’autonomie. Les chantiers sont ouverts à tout habitant de la zone désireux de s’essayer à la mécanique. « Dans la Curcuma, nous sommes trois femmes pour deux hommes. Il faut apprendre à se faire confiance. Le féminisme n’est pas formalisé, mais il y a une logique de self empowerment. Nous faisons attention à l’accueil, car beaucoup de femmes ont envie de venir, mais n’osent pas passer à l’acte », explique Camille.
“Avec les paysans, ça a été une grande rencontre. On s’est battus côte à côte, ensemble. Il n’y a pas de squatteurs qui soient restés urbains et de paysans n’ayant fait un pas vers les squatteurs ”
Camille, ancienne squatteuse arrivée à la ZAD il y a sept ans
Cyril, exploitant laitier et membre du réseau paysan solidaire Copain, fait le bilan de cette rencontre entre les occupants et les agriculteurs, qui a débuté dès 2012. « Dans la lutte, c’était facile, on avait un but commun. On a beaucoup appris des squatteurs, mais une fois les gardes mobiles partis, il a fallu discuter pour rouvrir les routes, boucher les tranchées, récupérer nos terres et se remettre au boulot. » Les tranchées de la « route des chicanes », creusées pour empêcher la progression des gendarmes en 2012, ont en effet fait l’objet de vives tensions entre paysans et squatteurs. Les premiers voulaient reprendre leur activité professionnelle, les seconds refusaient de « démilitariser » la départementale. À force d’échanges et de médiations, la situation s’est débloquée. Des modes de fonctionnement ont été créés, les gens ont appris à s’écouter et à vivre ensemble.
« À l’époque, j’ai hébergé quatre militantes vegan, ici, au milieu de l’exploitation laitière, se souvient Cyril. Le premier jour, je leur ai ramené des croissants au beurre pour le petitdéjeuner… C’est vous dire à quel point on ne se comprenait pas », se marre-t-il. Ensemble, ils ont cultivé des légumineuses pendant trois ans. Et Cyril a même fini par réduire sa consommation de viande. « Plein de gens sur la ZAD admettent leur incohérence politique face à la réalité du quotidien, parce que c’est intenable. Je trouve ça fort de le reconnaître », conclut l’exploitant laitier.
Willem, la petite trentaine, père d’un nouveau-né, se retrouve à la croisée de tous ces chemins. Ce fils de maraîcher bio était squatteur à Rennes pendant les années 2000. Après l’obtention de sa maîtrise d’histoire, il décide de passer un diplôme agricole, pour « faire quelque chose de concret ». Ouvrier agricole, ses patrons l’incitent à lutter à Notre-Damedes-Landes. En 2014, il s’installe dans une ferme fraîchement inoccupée. Quand un agriculteur décide de s’installer, il est obligé de s’endetter lourdement pour acheter ses bêtes, ses machines, ses terres. Willem, lui, en vivant sur la ZAD, a profité de la solidarité paysanne instituée par les militants de Copain. On lui a prêté un tracteur et donné des bêtes. Il ne se sent pas moins responsable de son travail : « Je veux construire ma ferme, je ne veux pas être dans la dépendance de l’échange. Si je m’en sors, c’est parce que j’ai eu du soutien, si je me plante, c’est de ma faute. » Il met au défi quiconque croirait que s’installer sur la ZAD est une solution de facilité. « Je ne supporte pas de voir les terres agricoles disparaître pour des constructions. Habiter sur la ZAD, c’est ma façon de résister et de penser l’avenir de l’agriculture. »
Une place pour chaque mode de vie
Toutefois, un des points de divergence entre les fermiers et certains militants concerne la zone de quarante hectares habitée par les « primitivistes ». Non motorisée et non cultivée, il s’agit d’une zone d’expérimentation de « retour à la nature ». Intéressante d’un point de vue écologique, selon certains militants. Complètement antinomique avec les enjeux de la lutte pour certains paysans…
Si, aujourd’hui, personne ne peut dire ce qu’il se passera dans les prochains mois avec le nouveau gouvernement, jusqu’à présent, les zadistes ont prouvé qu’au-delà du conflit avec l’État et Vinci, ils étaient capables de construire un monde différent. Ces longues années de lutte, d’échanges et d’existence ont donné naissance à un programme : les « 6 points sur l’avenir de la ZAD ». Une place y est faite à chacun et pour chaque mode de vie. Les notions d’usage, de propriété et d’usure sont réglées en ces termes : « La terre revient à celles et ceux qui la travaillent ou l’habitent. » Mais si le gouvernement renonce à construire l’aéroport, laissera-t-il cette « réserve indienne » hors de son contrôle ?