Causette

La terrass e

Le petit bal perdu

- par cathy yerle

L’été, lors des fêtes votives de mon village natal, nous nous retrouvons, cousines et cousins, tantines et tontons, parents et enfants, dans la maison familiale nichée au creux des montagnes. J’arrive généraleme­nt d’un séjour maritime où j’ai essayé de décompress­er, entre les tensions avec Lila, en fleur, qui, déjà l’an dernier, avait créé l’affolement sur toute la plage avec ses deux seins fraîchemen­t éclos ; son frère, que je harcèle à coups de cahiers de vacances ; et mon chat, qui ne supporte pas la chaleur.

Le clou des retrouvail­les, c’est le traditionn­el bal du samedi soir. Nous y tricotons des guiboles en nous arrosant le foie devant la petite scène illuminée de lampions, au beau milieu de la place du Monument aux morts, qui, pour l’occasion, retrouve un peu de vie. Il faut dire que depuis que la grande surface s’est installée à la sortie du village, dévorant tous les petits commerces du centre, un drôle d’air de fin du monde flotte sur les vitrines vides et poussiéreu­ses.

Chaque fois, c’est le même scénario : toute la tribu déboule dès la nuit tombée, les tantines en tête, qui s’installent sur leur tabouret pliant pour « surveiller les jeunes », les tontons, qui s’accoudent à la buvette en s’attaquant vaillammen­t au petit jaune, les cousines, pomponnées comme des majorettes, et les cousins, le nez collé au smartphone. Je commence toujours par saluer les musiciens. Je les connais bien, depuis le temps. Ils ont bien deux ou trois cheveux qui grisonnent et des costumes un poil désuets, mais ils allument le feu aussi bien que Johnny. La légende dit que c’est grâce à l’orchestre que les montagnes ne se sont pas trop dépeuplées.

L’an dernier, pendant le tube de l’été, Lila avait séduit le fils de l’accordéoni­ste à grands coups de hanches chaleureux et, malgré la surveillan­ce des tantines, la traîtresse avait réussi à disparaîtr­e avec son galant pendant le feu d’artifice, suivie de près par la fille de mon cousin et d’un gars du rugby aux mollets comme des melons et au cou de taureau. Nous ne les avions retrouvées qu’au moment de partir, la lèvre boursouflé­e et l’oeil charbonneu­x.

D’habitude, au bal, dès les premiers discos, j’arrive à me détendre. Je me dandine sur Alexandrie, je chante bien fort comme Adele Rolling in The Deep, je fais presque les mêmes chorégraph­ies que Stromae sur Alors on danse, j’enchaîne des figures compliquée­s avec mes fesses lorsque la chanteuse à paillettes entonne du Beyoncé. Et quand tout le village est enfin sur la piste, je pogote sur Should I Stay or should I Go, tout en essayant de faire tomber à grands coups d’épaule mon cousin Jojo et toutes mes anxiétés.

Sauf que, cette année, rien ne s’est passé comme prévu... Nous sommes arrivés joyeux sur la petite place. Déserte. Pas de lampions, pas de pochtrons. Juste un son de basse, au loin, vers la sortie du village. Curieux, nous avons suivi le bruit. Les tantines en tête, le tabouret sous le bras et les tontons, assoiffés et grognons.

Sur le parking de la grande surface, les habitants du village semblaient minuscules, disséminés entre une énorme scène et la petite buvette coincée près d’une rangée de Caddie. En guise d’orchestre, un seul bonhomme, en chemise fluo, casque sur les oreilles, qui balançait une grosse soupe indigeste dans la sono en propulsant des éclairs laser vers les montagnes.

Alors, quand j’ai vu Lila précédée de ses jolis seins s’approcher de la scène, les yeux rivés vers le David Guetta des supermarch­és, j’ai perdu les pédales et j’ai hurlé : « Ah, non ! Pas le DJ ! »

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