Causette

Judith Scott : tisse & love

La Maison rouge, à Paris, présente Inextricab­ilia – Enchevêtre­ments magiques, une exposition qui rassemble une cinquantai­ne d’artistes. Le fil rouge de cette affaire ? Des artistes qui explorent le tissage et la ligature. Parmi eux, nous avons découvert

- Par Isabelle Motrot

Judith et Joyce Scott naissent en 1943, à Columbus, dans l’Ohio (États-Unis). Jumelles, elles sont pourtant très différente­s car Judith est sourde, muette et trisomique. Pendant sept ans, les petites grandissen­t et communique­nt ensemble. Mais les médecins conseillen­t aux parents de faire interner Judith dans un établissem­ent « approprié ». Elle est placée en hôpital psychiatri­que et coupée du monde. Éclipse totale, qui durera trente-six ans. Mais Joyce ne l’oublie pas et lutte pour la faire sortir de ce lieu lugubre qui, dit-elle, semble sortir d’un roman de Dickens. En 1986, elle parvient à faire transférer sa soeur au Creative Growth Art Center, en Californie. On y accueille des personnes handicapée­s à qui on propose une thérapie basée sur la créativité. Les patients peuvent peindre, dessiner, sculpter. Pendant deux ans, Judith observe, mais ne participe pas.

Cocons moelleux et colorés

Un jour, une artiste organise un atelier de tissage. C’est un choc joyeux pour Judith, qui manipule alors avec sensualité et tendresse les fils de laine, le raphia, les cordages. Animée par une logique mystérieus­e, mais manifestem­ent précise, elle invente des tissages très particulie­rs. Elle dérobe des objets, des clés de voiture au skateboard qui traîne, des bagues perdues, des parapluies, des morceaux de carton… et les emmaillote de laine, de fils, de câbles électrique­s, formant ainsi des cocons moelleux et colorés qu’elle serre dans ses bras. Les objets, toujours plusieurs, disparaiss­ent au coeur de ces tissages travaillés, qui peuvent atteindre jusqu’à deux mètres de long. Judith emballe et protège ces choses disparates, créant des formes nouvelles qui, en retour, semblent l’aider à vivre. On ne saura jamais ce que ces oeuvres (mais sont-elles des oeuvres ?) signifient. Mais ces liens très doux, qui unissent des objets pour toujours, racontent silencieus­ement un monde réparé, reconstitu­é, protecteur.

On retrouve des ouvrages de Judith Scott dans l’exposition Inextricab­ilia, organisée par Lucienne Peiry, grande spécialist­e de l’art brut. Elle y a rassemblé des objets et des créations d’une cinquantai­ne d’artistes, issus de culture et d’époques différente­s, mais ayant tous à voir avec le lien, le tissage et la ligature. Des oeuvres fortes, de créateurs parfois reconnus – Louise Bourgeois, Annette Messager, Jeanne Tripier –, mais aussi d’inconnus ou d’anonymes. Dentelles déviantes, parures sacrées, ces objets fascinent et on peut, nous aussi, broder longtemps sur leurs histoires.

Inextricab­ilia - Enchevêtre­ments

magiques. La Maison rouge – Fondation Antoine-de-Galbert, à Paris 12e, jusqu’au 17 septembre.

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 ??  ?? À gauche : Sans titre, laine et objets de récupérati­on, 1986. Ci-dessus, photo issue du documentai­re de Betsy Bayha, Outsider : the Life and Art
of Judith Scott (États-Unis, 2006).
À gauche : Sans titre, laine et objets de récupérati­on, 1986. Ci-dessus, photo issue du documentai­re de Betsy Bayha, Outsider : the Life and Art of Judith Scott (États-Unis, 2006).

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