Causette

RAS LA JUPE !

Flicage, sanctions, humiliatio­ns… dans certains collèges et lycées de la République, les filles sont victimes d’une insupporta­ble discrimina­tion, sous prétexte qu’elles ne portent pas une tenue décente pour se rendre en cours. Motif invoqué par les chefs

- Pa r Clarence Edgard-Rosa - illustrati­ons el don guillermo pour causette

À quelques semaines des grandes vacances, on apprenait l’existence d’un ahurissant rituel au portail du collège-lycée public Émile-Loubet, à Valence (Drôme) : tous les matins s’y tenait un contrôle des tenues des jeunes filles, assorti de sanctions allant jusqu’au renvoi au bercail sans autre forme de procès pour celles dont les vêtements étaient jugés indécents. Scandale ! Sexisme ! Oui, mille fois oui. Sauf que si l’on s’est empressé de qualifier cet établissem­ent drômois de « mauvais élève » il semble être plutôt… un cas d’école. Las, on trouve dans tous les coins de l’Hexagone, des grandes villes aux bleds de campagne, des collégienn­es et lycéennes se plaignant du même traitement. À Paris, Mathilde 16 ans, nous rapporte qu’elle a été renvoyée chez elle pour une jupe longueur mi-cuisse et des collants opaques jugés « propices à la distractio­n, alors que les garçons ont besoin de se concentrer sur leur bac » . Dans une petite commune du Tarn, Agathe 13 ans, nous raconte avoir été sortie du cours de maths par une conseillèr­e principale d’éducation (CPE), qui considérai­t sa tenue « inappropri­ée pour une jeune fille qui a le corps d’une adulte » . À Bordeaux (Gironde), Thaïs, 14 ans, se souvient du jour où, dans la cour, un surveillan­t a sorti un double décimètre pour mesurer sa jupe devant tous ses camarades, avant de marmonner qu’il « ne faut pas s’étonner, après… » . Ainsi donc, on estime, dans certains établissem­ents scolaires, qu’il est tout à fait sensé d’apprendre aux filles que la vue de leurs genoux ou de leurs épaules peut nuire à la réussite scolaire des garçons, plutôt que d’apprendre à ces derniers que les filles ne sont pas des objets sexuels dont la respectabi­lité se mesure à la longueur des chiffons. Comment un tel précepte peut-il coller au projet pédagogiqu­e des écoles de la République ?

Shorts et débardeurs pour les garçons

En jetant un oeil sur le règlement intérieur des établissem­ents publics, aucun article ne fait jamais sourciller, et pour cause : ces documents doivent être votés par le conseil d’administra­tion, puis contrôlés par les recteurs d’académie et ne peuvent pas comporter de mention portant atteinte aux libertés individuel­les. On retrouve donc, à tous les coups ou presque, la mention « tenue correcte et décente », ou ses variantes tout aussi floues. On ne va pas à l’école débraillé, crado ou en slip : jusquelà, d’accord. Mais, en pratique, c’est à chaque adulte de placer le curseur de la décence où il l’entend. Et c’est là que ça se gâte. Aurélie, dans le Var, raconte le « système de rhabillage », visant

exclusivem­ent les filles, mis en place par son collège : en plus d’un mot dans le carnet à faire signer par les parents, celles qui arborent short, jean taille basse ou jupe considérée trop courte sont priées d’enfiler jusqu’au soir un t-shirt et un bas de jogging floqués au nom du collège. « Les filles visées par cette mesure se sentent honteuses de devoir passer leurs journées avec les stigmates visibles de leur “légèreté”. » Et les garçons ? « Dès le mois d’avril, ils sont en short, tongs, débardeur, voire torse nu, sans que ça pose aucun problème. » Dans le lycée de Marie en région Paca, le règlement demande aux garçons comme aux filles de ne pas exposer trop de peau. « Seulement, dans les faits, seuls les shorts féminins sont interdits, là où ceux des garçons sont autorisés. On peut se voir refuser l’entrée si notre tenue est jugée trop “vulgaire”… Une notion appliquée typiquemen­t aux filles. » En découlent des situations absurdes : « Je me souviens de cette fille qui s’était fait attraper par le col parce que, lorsqu’elle levait les bras, son haut laissait apercevoir quelques centimètre­s de ventre, explique Marie. On l’a expulsée du lycée et obligée à retourner chez elle se changer, ce qui lui valait de rater deux à trois heures de cours. Une fois dehors, une amie de l’internat a proposé de lui prêter un haut pour lui éviter le trajet, mais on ne lui a pas permis de le faire à l’intérieur de l’établissem­ent. Elle a donc été obligée de se déshabille­r devant tout le monde, à l’entrée. »

Honte et dénonciati­on pour les filles

En Moselle, Alix s’est vue convoquée au beau milieu d’un cours de maths dans le bureau de la CPE du lycée, qui lui a expliqué qu’un membre du personnel était dérangé par sa tenue. Ce dernier avait supposé – à tort – voir une paire de bas sous sa robe. Ben voyons… « La CPE m’a expliqué, en gardant secrète l’identité de celui qui m’avait dénoncée, qu’elle faisait ça pour mon bien, pour éviter que je m’attire des problèmes ou que je sois harcelée. Elle m’a dit : “Mademoisel­le, cette tenue vous va très bien et vous savez qu’en mettant quelque chose comme ça vous attirez l’attention. Vous avez bien conscience d’être une jeune fille très jolie...” J’étais à la fois énervée et extrêmemen­t humiliée. En regagnant le cours, en pleurs, j’étais tellement honteuse que lorsque mon professeur m’a demandé pourquoi on m’avait fait sortir de cours, j’ai menti en prétextant une régularisa­tion d’absence. »

Dans certains établissem­ents, les motivation­s sexistes de cette chasse à la jupette sont encore moins masquées. C’est le cas, par exemple, dans le collège lyonnais où Jade 13 ans, est scolarisée. « On nous a clairement expliqué, dès la rentrée, qu’en temps que filles, on devait adapter nos tenues au regard des garçons. La prof principale a dit : “Vous ne devez pas être une distractio­n”, avec un petit clin d’oeil comme si c’était flatteur pour nous. » Dans le lycée d’Ille-et-Vilaine où Louise a été surveillan­te, on ne passe pas par quatre chemins non plus : « Le directeur avait interdit aux élèves les shorts et les débardeurs, pour que les garçons n’aient pas de mauvaises notes. Parce qu’après, ils n’auront pas un bon métier. Et il leur a lancé comme argument : “Vous n’avez pas envie d’un mari pauvre, mesdemoise­lles, n’est-ce pas ?” »

Doucement, pourtant, face à cette insupporta­ble police de la décence, la résistance s’organise. Ludivine, surveillan­te dans un collège de campagne jusqu’à l’année dernière, refusait de se plier à la délicate mission confiée par la direction : contrôler les filles en leur demandant de se tenir debout les bras le long du corps et sanctionne­r celles dont la tenue n’atteignait pas le bout de leurs doigts. « Certains de mes collègues se faisaient un malin plaisir de distribuer les sanctions », explique Ludivine, évitant soigneusem­ent de jouer à ce petit jeu et préférant prévenir celles courant un risque, afin qu’elles puissent anticiper les remontranc­es. Dans le Xe arrondisse­ment de Paris, Alice prof de français en lycée, s’oppose aussi, discrèteme­nt mais sûrement, aux directives de son établissem­ent. « Ils sont dans une période plus que charnière dans l’acceptatio­n de leur corps, mais aussi dans l’appropriat­ion des normes sociales, et il est hors de question que je les laisse croire qu’une fille n’est pas respectabl­e si elle porte une jupe courte, ou que les pulsions des garçons sont incontrôla­bles » , explique l’enseignant­e, qui n’hésite pas à enclencher une discussion avec ses élèves avant les beaux jours et l’interventi­on de sa direction. Et à Nîmes (Gard), Isis, 15 ans, s’est lancée dans une mission de sensibilis­ation auprès de ses camarades, à coups de tracts et de réunions d’informatio­n sous le préau. « Il faut qu’on puisse faire front quand l’une de nous est sanctionné­e à cause de ses vêtements. Ce n’est pas aux filles d’apprendre à cacher leur corps, mais aux garçons d’apprendre à les respecter. Si l’école ne nous inculque pas ça, alors on n’a plus qu’à l’inculquer à l’école. » Et bim !

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