Causette

Anne F. Garréta queer et béton

- Hubert Artus

La vie des romans est comme la vraie vie : il est des gens qui ne donnent pas souvent des nouvelles, mais qui, quand ils sont là, sont bien là. C’est le cas d’Anne F. Garréta (« F » pour Françoise), une de nos plumes les plus modernes, les plus dingos, et pourtant si rare. Pour preuve : Dans l’béton est son cinquième roman depuis… 1986. Elle avait alors 23 ans, et son Sphinx était en avance sur son temps : une histoire d’amour sans jamais donner aucun indice grammatica­l du genre ni du sexe des deux personnage­s. Un roman épicène qui obéissait à une contrainte de l’Oulipo (dont elle est membre) et un récit queer avant l’heure. Dans Ciels liquides (1990), le héros perdait… l’usage de la langue. Dans La Décomposit­ion (1999), un tueur en série assassinai­t les personnage­s d’À la recherche du temps perdu. Pas un jour (2002, prix Médicis) revenait au thème du désir.

Anne F. Garréta est un méandre de fils électrique­s, entre littératur­e expériment­ale, beat generation et roman queer. Entre Raymond Queneau, Virginie Despentes et William Burroughs. Un côté « prise multiple » revendiqué par un auteur qui met cela en adéquation avec sa vie nomade : elle vit depuis trente ans entre Paris et Washington, elle est DJ à ses heures et parcourt le territoire américain tout l’été. Elle est une architecte sonore et textuelle, avouant que chaque roman a « une voix » pour point de départ. C’est le cas pour ce retour à la fiction : un minot raconte comment son père, bricoleur du dimanche, a coulé sa soeur cadette dans une dalle de béton ; père qui passera le roman à tenter de redonner vie à sa fille. En surface : une comédie hilarante. En profondeur : un geyser de jeux de mots qui, par la voix du minot, raconte le sens et le sexe de la vie. Entre autres. Dans l’béton est un roman aussi bref que dense, aussi riche que drôle.

Dans l’béton, d’Anne F. Garréta. Éd. Grasset, 180 pages, 17 euros.

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