Allô, Macron, bobo
Manque d’effectifs, problèmes de santé, burn-out, les crèches municipales et associatives sont au bord de la crise de nerfs. La fin des emplois aidés ne devrait qu’aggraver une situation déjà critique. Explications.
« Nous avons de quoi finir l’année scolaire. Après, nous devrons sans doute arrêter », déplore Gaëlle Massé, fondatrice de deux microcrèches associatives à Branne et Génissac, en Gironde. Elle prend en charge dix enfants par structure, soit le maximum autorisé dans ce type d’établissement, qui fonctionne par ailleurs comme n’importe quel autre lieu d’accueil collectif. Ce risque de fermeture probable est dû au gel des emplois aidés, imposé par le gouvernement en août dernier (lire encadré page suivante). « Nous accueillons une vingtaine d’enfants par jour, répartis sur deux structures, détaille Gaëlle Massé. Nous fonctionnions jusque-là avec trois contrats aidés. L’un a déjà dû partir, nous n’avons pas pu le renouveler. Les deux autres s’arrêtent en novembre, nous allons les garder en CDD. Chaque mois, cela nous fait un trou de 1 000 euros dans la trésorerie. Sans rien dépenser, en janvier, nous arriverons à 30 euros de bénéfice mensuel... Au-delà du fait que nous allons probablement devoir fermer, d’ici là, nous ne pourrons pas faire suivre de formation à nos employés ni remplacer les arrêts maladie, qui sont nombreux dans notre secteur. » Les microcrèches ne sont pas les seules impactées. Les structures municipales aussi perdent une aide précieuse. Nadia auxiliaire depuis une vingtaine d’années, travaille dans une crèche du XIXe arrondissement de Paris. Elle regrette l’annonce du gouvernement. « Cela va nous faire encore plus de charges à se répartir. Or, depuis des années, nos conditions de travail se dégradent. Lorsque j’ai débuté, nous n’étions en souseffectif que les mois d’hiver. Désormais, c’est toute l’année. Pour vingt-quatre enfants, nous devrions être quatre selon le ratio de la mairie, mais nous sommes toujours trois. »
Antidépresseurs depuis quinze ans
Il y a peu de temps, Nadia s’est retrouvée seule à s’occuper de onze enfants, car une de ses collègues partie en congé maladie n’a pas été remplacée. « J’étais épuisée, du coup, moins patiente. Je suis suivie depuis des années par un psy. Donc, quand je deviens moins bienveillante, que je me sens chavirer, je demande un arrêt maladie. Jamais je n’ai été maltraitante. Mais cela arrive à certaines qui craquent. Il y a peu de temps, j’ai surpris une collègue qui tentait de forcer un petit garçon à rester au lit en le maintenant avec sa couverture. Je l’ai fait sortir et j’ai pris le relais. Depuis quinze ans, on tourne toutes aux antidépresseurs. C’est très peu dit, mais tout le monde le sait. »
Ce stress, généré par une surcharge de travail, est malheureusement monnaie courante dans la plupart des structures françaises. À Nancy, en Lorraine, dans la crèche Osiris, qui accueille jusqu’à cent vingt enfants, on connaît aussi des difficultés pour remplacer le personnel en arrêt. En juin et juillet, par exemple, deux congés maternité et un arrêt maladie ne l’ont pas été. « Nous sommes quatre adultes pour vingt bébés. Comment voulez-vous faire lorsqu’ils sont trois à pleurer et à nous tendre les bras en même temps ? » interroge Sylvie, 51 ans. Ici, le personnel est heureux et écouté, mais le reproche de Sylvie est dans toutes les bouches. Heureusement, la fin des emplois aidés n’aura pas trop d’impact sur le fonctionnement de l’établissement. Le dernier, qui concernait un agent d’entretien, vient d’être embauché en CDD. « Plus la commune est grande, plus ce manque à gagner est facile à absorber. À Nancy, nous avions
quarante-cinq contrats de ce type tous secteurs confondus, dont quatre dans les crèches. Nous regrettons de ne plus pouvoir aider les publics très éloignés de l’emploi, souvent non diplômés, qui en bénéficiaient », explique Isabelle Marchand, chef du service action pour l’emploi de la Ville.
L’absentéisme reste difficile à chiffrer. Mais l’année dernière, une directrice de crèche, en arrêt maladie pour burn-out, a eu l’idée de lancer sur Internet une enquête sur la façon dont les professionnelles de la petite enfance voient leur métier. Il ne s’agit pas d’un sondage professionnel, mais d’un appel à témoins, qui donne quelques pistes. Plus de huit cents professionnelles exerçant dans des structures d’accueil de jeunes enfants ont répondu à son questionnaire anonyme.
Parmi elles, puisque les employés de crèches sont à peu près à 99 % des femmes, 45,21 % travaillent dans des crèches municipales et 19,25 % dans des structures associatives. Elles déplorent à 56,4 % le manque de moyens humains, jugent l’absentéisme important et notent, pour 41,3 % d’entre elles, un faible taux de remplacement des effectifs absents. Toutes les femmes de l’étude affirment effectuer régulièrement des tâches qui ne font pas partie de leur fonction comme faire le ménage, administrer les médicaments aux enfants, organiser des plannings ou assurer des travaux administratifs.
Une tonne d’enfants par jour
Ces professionnelles développent une forme de frustration renforcée par le fait que la pénibilité de leur travail est souvent mal considérée. « Avec des collègues, nous avons calculé que nous portions une tonne d’enfants par jour. À la fin de l’année, c’est comme si nous avions soulevé un troupeau de vingt-huit éléphants de sept tonnes chacun ! » nous raconte Nadia, en nous montrant la ceinture renforcée qu’elle porte pour soutenir son dos, que trente séances de kiné n’ont pas soulagé. Dans la crèche Osiris, à Nancy, plusieurs employées ont même un travail aménagé parce qu’elles ont des problèmes d’audition. C’est le cas de Jocelyne, 60 ans, agent social ici depuis vingt-cinq ans. Cintrée dans un tablier rose pale, elle nous parle, comme toujours, installée au sol à hauteur d’enfant. « J’ai de la chance de ne pas avoir de problèmes de dos, mais j’ai de l’arthrite et, surtout, j’ai une perte d’audition à une oreille, cela a été reconnu par la médecine du travail. C’est ce qui arrive quand on console des bébés qui pleurent directement dans nos oreilles. » Quand elles sont vraiment décidées à changer de travail, ces femmes se retrouvent généralement coincées dans le domaine de la petite enfance, car leurs compétences ne sont pas reconnues dans d’autres secteurs. « J’ai observé que ce sont dans les crèches qu’il y a le plus de personnel en souffrance, confirme le sociologue Pierre Moisset, spécialiste de la petite enfance. Elles ont le sentiment que leurs efforts et leur engagement ne sont pas reconnus. » Ce manque de reconnaissance est difficilement vécu par des femmes qui viennent pour la plupart à ce métier par vocation : 88,8 % de celles interrogées par l’étude déclarent que travailler dans la petite enfance était leur premier choix. Thomas Aubrège, ancien directeur de crèche en Lorraine : « Les parents ne les voient pas comme des professionnelles. Ils les appellent encore “les dames”, “les nounous”, “les nourrices”, “les filles”. Jamais par leur fonction d’éducatrices. » Or, qu’elles soient puéricultrices, c’est-à-dire sages-femmes (bac + 5), infirmières (bac + 4), éducatrices de jeunes enfants (bac + 3), auxiliaires de puériculture (diplôme en dix mois) ou accompagnantes éducatives petite enfance (CAP en deux ans), elles ont toutes des qualifications. Depuis la rentrée, un nouveau CAP petite enfance a été entériné. Lancé par Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, il s’appuie sur le rapport que lui avait remis, le 9 mai 2016, la psychologue pour enfants et psychanalyste Sylviane Giampino. « Afin de faciliter la reconversion, l’un de ses buts principaux, il décloisonne une partie des formations initiales, en mettant en place des temps d’apprentissages continus et communs. Il donne aussi un nom à un métier qui n’en avait pas, les accompagnants éducatifs petite enfance », explique-t-elle. La Direction générale de la cohésion sociale nous a fait savoir que « la refonte des diplômes et qualifications de référence du secteur est un chantier interministériel de longue haleine ». Les employées des crèches continuent donc à travailler dans les mêmes conditions, en attendant un prochain coup de com.