Causette

bâtons de jouvence

À un âge où la mini-jupe n’est soi-disant plus de saison, elles endossent costumes à paillettes et décolletés sous l’étendard des Major’s Girls de Montpellie­r. Entre strass et musique électro, Causette a suivi la cadence de ces majorettes peu ordinaires

- Par Marine Samzun

« 1, 2, 3, 4… On est sur 3 ! » Josy bat la mesure au rythme de la fanfare de Béziers. Pour la Fête du mimosa dans le petit village de Roquebrun, les Major’s Girls de Montpellie­r sont venues parader. À son habitude, la capitaine mène sa troupe de majorettes à la baguette : lancé de bâtons à l’unisson, jeté de mollets à hauteur d’épaules. Le public est conquis… et surpris ! Bien loin des clichés, la majorité de ces majorettes a dépassé la cinquantai­ne. Depuis 1964, elles défilent au sein d’un groupe inébranlab­le. Presque toutes ont démarré adolescent­es, puis ont arrêté après avoir eu des enfants. La plupart ont fini par revenir. Pour le plaisir du show, des costumes, et celui d’être ensemble. Bien dans leurs bottines, elles assument leur âge, sans se soucier du temps qui passe.

À la tête des « Majo » depuis cinquante-deux ans, Josy a tout vécu avec sa troupe, « son deuxième bébé ». Des défilés dans les villages alentour aux championna­ts du monde de 2006 aux PaysBas, en passant par des tournées en Israël ou aux États-Unis. « Elle n’a pas un rôle évident, mais elle est humaine et rigoureuse. Elle veut toujours que ça soit parfait », lâche Myriam, grande brune pétillante de 54 ans, admirant son mentor. Des jupes plissées sur

musique militaire aux justaucorp­s à franges sur son électro, la capitaine « a su évoluer avec le temps », résume-t-elle.

Nous les suivons un jour de show. Deux heures avant le défilé, la troupe occupe la salle du camping municipal, mise à leur dispositio­n pour se préparer. Dans une ambiance de collégienn­es, elles déballent en hâte les plats préparés pour le pique-nique. Pizzas, quiches, salades de pâtes et gâteaux maison, sans oublier le pastis de ces dames. « L’apéro, c’est sacré », confirme Josy, faisant fuser les anecdotes. « Le jour où on a fait une halte à la Maison Ricard, en repartant défiler, je ne marchais pas droit. » Éclat de rire général. Pour Yannick, 66 ans, « l’essentiel, c’est le collectif ». Elle aussi a intégré la troupe très tôt, à 14 ans. « C’est important qu’on se voie avec les copines. Très important. On vit ensemble les anniversai­res, les mariages, les décès. » Si une Majo est en détresse, toutes font bloc pour la soutenir. L’une d’elles, immobilisé­e un mois pour une opération du dos, reçoit textos et visites en continu : « On ne se lâche pas ! »

Muscu quotidienn­ement

Sitôt le ventre plein, l’agitation s’empare des Major’s Girls : l’heure d’entrer en scène approche. « Je me fais belle », déclare l’une, pinceau à maquillage en main. « Y’a du boulot ! » lui renvoie-t-on en gloussant. Les rires se répondent en écho sur les tommettes de terre cuite. Un peu à l’écart, Josy et Marie, la sous-cheffe, passent en revue le parcours. Sereines. Les corps se dénudent sans pudeur. Les majorettes quittent survêtemen­ts et sweats roses, enfilent collants, justaucorp­s et perruques. En quelques minutes, c’est la métamorpho­se. Rayonnante­s, elles affichent avec fierté leur plastique, moulées dans des tenues sexy.

Pour rester en forme, toutes pratiquent un sport en plus. Gym, aquabike, danse… Yannick se rend à la salle de musculatio­n tous les jours. « C’est pas tout le monde qui peut faire ça. J’en suis fière, résume-t-elle. C’est une manière de rester jeune dans la tête et dans le corps. » Pourtant, il y a sept ans, à l’approche de la retraite, Yannick a eu du mal à affronter les jugements, les critiques. « Ah, quand même, elles sont pas toutes jeunes ! » entendait-elle lors des parades. Elle quitte alors le groupe, moins à l’aise pour défiler. Mais, comme pour les autres, la passion a repris le dessus. « On ne va pas se plier au regard des autres, rétorque Myriam. Les gens voient qu’on n’est pas jeunes, mais qu’on le fait avec nos tripes. »

Cadix, Louisville, Londres…

Grand-mères pour la plupart, elles choisissen­t de se mettre en scène avec audace. « J’ai toujours eu envie d’aller au-delà, de me challenger. C’est ça qui me fait bouger, affirme Josy. Être applaudie devant des milliers de personnes, diriger trente filles… C’est quand même plus que jouissif », poursuit la capitaine. Des souvenirs plein la tête et des étoiles dans les yeux, elle raconte Cadix, Louisville, Londres, Wembley. Les défilés au cordeau, comme les escapades entre copines. « Et un bon esprit festif ! On rigole, ça nous fait du bien. » Myriam abonde : « Je me sens vivante quand je suis aux Majo. »

À 14 h 30, la Peña los Cariocas de Béziers fait rouler ses tambours et claironner ses cuivres. Les Major’s Girls se mettent en ordre de marche, au centre des regards. Sous les ordres d’une Josy radieuse, la parade démarre, bâton en main, sourire aux lèvres. Elles enchaînent les numéros avec énergie et fluidité. Certaines se trompent dans les pas, laissent tomber leur bâton, mais « on sourit et on continue » ! Leur euphorie est visible et contamine la foule. « Elles ne sont pas jeunes, mais elles osent », entend-on dans le public. L’avenir ? Josy l’envisage avec lucidité : « Quand j’aurai pris ma décision, je dirai aux filles : OK on arrête. » Et une fois de plus, elles se rangeront derrière leur leadeuse. « Sans Josy, la troupe s’arrête. C’est elle qui tient le groupe », reconnaît Myriam. Ce qui la décidera ? « Lire dans le regard des autres : “T’as vu c’te vioc ?!” Je ne veux pas être ridicule. » En 2019, la troupe fêtera ses cinquantec­inq années d’existence. « J’aimerais finir là-dessus, reconnaît la capitaine. J’aurai 70 ans, je pense que ça ira. » Pour l’instant, aucune n’y songe sérieuseme­nt. Anna, 68 ans, le clame comme un mantra : « Tant que mes jambes peuvent me tenir, je continue ! »

“Avec on vit les ensemble copines […], les anniversai­res, les mariages, les décès ”

Yannick (66 ans), dans la troupe depuis l’âge de 14 ans

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 ??  ?? En ce 12 février 2017, à Roquebrun, dans l’Hérault, les Major’s Girls défilent pour la Fête du mimosa (page de gauche), emmenées par Josy (ci-dessus, en haut), leur capitaine depuis cinquante-deux ans. Le show va bientôt commencer (ci-dessus, en bas),...
En ce 12 février 2017, à Roquebrun, dans l’Hérault, les Major’s Girls défilent pour la Fête du mimosa (page de gauche), emmenées par Josy (ci-dessus, en haut), leur capitaine depuis cinquante-deux ans. Le show va bientôt commencer (ci-dessus, en bas),...
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à gauche : durant la Fête du mimosa. Les Majo ont presque toutes démarré adolescent­es et ont arrêté après avoir eu des enfants. La plupart ont fini par revenir. à droite : Dominique a ouvert pour nous son album photos et nous plonge dans ses souvenirs...
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