Chéri-e, y a des réfugiés dans le jardin !
Une association installe des maisons destinées à l’accueil de réfugiés sur le terrain de particuliers volontaires. La première s’est construite cet automne à Montreuil, en région parisienne. Mettez vos casques…
“Il est […] interdit d’héberger une personne […] pas en règle. Mais, à partir du moment où elle a obtenu un récépissé de demande d’asile […],
il n’y a aucun problème ”
Nadège Letellier, responsable du programme Elan
« We have to “poncer” and then to put an “apprêt”. » Après une introduction menée dans un anglais parfait, Romain Minod galère un peu avec le lexique du bricolage. Romain est le président de l’association Quatorze, tournée vers l’architecture sociale et solidaire, qui porte ce projet de « Tiny House » . Réunie autour de l’architecte, une équipe d’une vingtaine de bénévoles originaires du monde entier acquiesce. Certains, mobilisés via l’association allemande Open State, ou recrutés par le centre d’hébergement de Bobigny ou le Samu social de Paris, sont réfugiés ou demandeurs d’asile en France ou en Allemagne. Les autres, alertés par les réseaux sociaux, sont désireux de s’inscrire dans un projet solidaire.
Tout ce petit monde est réuni pour une seule et même raison : monter en une semaine une Tiny House dans le jardin du pavillon de Charlotte et Dominique, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Une petite habitation de 20 m2 - destinée à deux réfugiés désignés par le Samu social de Paris dans le cadre du programme Elan, favorisant l’accueil citoyen de personnes réfugiées. Les deux futurs locataires sont en cours de « recrutement » et devraient emménager minovembre. Intitulé « In My Back Yard » (IMBY), le projet a pour but d’accompagner les réfugiés dans leur insertion tout en leur assurant une certaine autonomie. « En termes d’hébergement, il ne s’agit pas de se substituer à l’État, rappelle Romain. Mais de leur proposer une certaine vision de l’accueil. » Rien d’illégal dans tout cela. En effet, rappelle Nadège Letellier, responsable du programme Elan, « s’il est interdit d’héberger une personne qui n’est pas en règle, à partir du moment où elle a obtenu un récépissé de demande d’asile ou possède son titre de séjour, il n’y a aucun problème ».
Prototype reviabilisé
Ce matin-là, dans le jardin, il n’y a guère que les plants de rhubarbe et la poule à l’abri de son enclos pour profiter paresseusement du soleil d’octobre. Au tableau installé sur la terrasse, la liste des tâches s’étale sous le logo d’IMBY et son slogan « The world we want to build » *. Certes, la structure de la maison existe déjà – un prototype reviabilisé qui patiente dans une rue adjacente – mais le plus gros reste à faire. « L’idée n’est pas juste de construire, rappelle Romain. Il s’agit aussi de se rencontrer les uns les autres. » Parmi les bénévoles, il y a en effet Anaïs, qui a travaillé dans des centres d’hébergement de réfugiés en Serbie, ou Léa, qui a oeuvré du côté des Grands Voisins, village solidaire installé dans un ancien hôpital parisien. Les deux vingtenaires déblaient le terrain avec l’aide de Kareem et Mike, deux réfugiés d’origine syrienne, désormais installés à Berlin.
La participation à ce chantier pédagogique – financée par l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) – leur permet d’ajouter cette expérience à leur CV. Mais l’acquisition de savoirs en matière d’écoconstruction n’est pas leur seule motivation. « On a été très aidés lors de notre arrivée en Allemagne, raconte Mike. Ça me semblait normal de rendre ce qu’on nous a donné... » Un tee-shirt Superman sur le dos, Kareem, arrivé en Europe il y a deux ans, charrie des gravats : « J’ai logé dans un endroit qui comptait jusqu’à mille lits. Comment avoir du silence, de l’intimité, dans ces conditions-là ? La Tiny House, c’est bien mieux. »
Charlotte, la propriétaire de la maison, dépose deux gros sachets de viennoiseries sur la table. Avec Dominique, son conjoint, la trentenaire s’est lancée sans hésiter dans l’aventure. « Nous n’avions jamais eu le temps de nous occuper de cette parcelle, explique-t-elle. IMBY est tombé à pic pour donner du sens à ce bout de terrain. » La mini-maison est propriété de l’association Quatorze et eux s’engagent à accueillir des réfugiés durant deux années. La maison, mobile, est ensuite déplacée. Ils ont aussi la possibilité de la racheter. Une aventure à risques ? « Nous n’avons pas de compétences particulières d’accueillants, souligne Dominique, mais les gens du Samu social de Paris vont nous accompagner. Ce projet, ce n’est pas du cocooning passif, mais de l’aide à l’insertion. »
Un accueil de deux ans
Le temps que des volontaires aillent porter les sacs de gravats à la Déchetterie, les autres bénévoles s’octroient une pause. Ilyas jette un coup d’oeil expert au terrain désormais largement déblayé. Parti de Somalie il y a deux ans, le jeune homme de 29 ans a transité par la Libye où il a travaillé dans le bâtiment. Il a bénéficié du programme Elan et vit au sein d’une famille dans l’Essonne. Cet été, ses hôtes l’ont emmené en Bretagne où il a pu faire du catamaran. La participation au chantier fait remonter des souvenirs : « à mon arrivée, j’allais d’hôtel social en hôtel social. La journée, je traînais avec des compatriotes. Je ne savais rien de la France, eux non plus... Je recevais des papiers administratifs avec écrit “rendez-vous”, je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Et puis il y a toutes ces questions dans ta tête qui tournent sans que tu puisses les faire sortir... Une fois dans ma famille, tout s’est accéléré : l’apprentissage de la langue, la connaissance de la France... »
La pause est terminée, le chantier va reprendre. Avant de s’y remettre, Ilyas chuchote : « Quand je suis arrivé ici, mon but, c’était d’avoir un foyer. À partir du moment où tu peux te poser, tu peux t’investir dans ton insertion. » Une Tiny House coûte 35 000 euros. La première a été financée grâce au crowdfunding, l’autofinancement, et à des fonds provenant de l’Ofaj ainsi que de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Pour les suivantes, Quatorze attend des financements de la région. Avec, pour ambition, la mise en chantier de cinq nouvelles maisons d’ici à six mois.