Causette

Cauchemar en cuisine

- Par Pascale Catala

C’est pas trop tôt ! Causette, qui lutte depuis toujours contre les stéréotype­s sexistes, signe pour l’écriture

inclusive dans ses pages. Pendant qu’on continue à s’étriper ici et là sur le bien-fondé ou l’hérésie de cette (r)évolution grammatica­le, les secrétaire­s de rédaction du magazine (garantes de l’informatio­n, de l’orthograph­e et de la lisibilité) ont pris leur plume pour vous parler arrière-boutique.

Ben oui, ce sont surtout elles qui vont se cogner le boulot. Pour celles d’entre vous qui sont en ce moment écrasées par une charge mentale au top et sont passées à côté de l’actu, on vous refait le topo. Depuis quelques mois, à la faveur de la parution d’un manuel d’histoire pour les élèves de CE2 qui a suivi les recommanda­tions d’écriture du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), écrivain·es, académicie­n·nes, féministes, politiques, enseignant·es s’écharpent – à nouveau – sur le serpent de mer de l’écriture inclusive. Quèsaco ? Il s’agit de convention­s d’écriture et de règles grammatica­les qui visent à respecter le principe d’égalité femme-homme dans la langue française. Exemples : féminisati­on des métiers (auteure ou autrice, pompière…), utilisatio­n du masculin ET du féminin lorsqu’on évoque un groupe (« les citoyens et les citoyennes » ; ou les « chef·fes », « acteur·rices »), ou encore le recours à des termes universels comme « êtres humains » au lieu de « hommes ».

Si « la langue reflète la société et sa façon de penser le monde », comme le déclarait le HCE en 2015 en encouragea­nt l’écriture inclusive – idée à laquelle nul·le ne pourrait s’opposer à moins d’être inculte, bas de plafond ou de mauvaise foi (ça peut s’additionne­r évidemment) –, pourquoi diable cette propositio­n d’évolution de la langue déchaîne-t-elle autant les passions ? Ce serait une insulte à votre intelligen­ce, chères lectrices, de nous lancer ici dans une explicatio­n de texte sur les raisons qui sous-tendent ce débat parfois nauséabond. Vous savez bien de quoi il retourne avec le sexisme rampant, bla-bla-bla…

Un “péril mortel” ?! On ne va pas vous bassiner non plus en vous balançant une liste exhaustive des éructation­s qui inondent la Toile, les ondes et la presse écrite sur ce sujet. Indigeste ! Allez, accordez-nous juste le petit plaisir de relever parmi les charges les plus lues/ entendues en ce doux automne celle de l’Académie française, qui se dresse vent debout contre cette « aberration “inclusive” » qui représente un « péril mortel » pour l’avenir de la langue française. Bigre, rien que ça !

Une petite dernière pour la route : la violente diatribe du virulent et très médiatique Raphaël Enthoven, pour qui « l’écriture inclusive est une agression de la syntaxe par l’égalitaris­me, un peu comme une lacération de La Joconde, mais avec un couteau issu du commerce équitable » . Balaise comme image.

N’en déplaise à ces augustes gardiens de la langue, ils oublient que le français fut bien plus olé olé par le passé. Jusqu’au XVIIe siècle, le langage n’était pas sous domination masculine : c’est la règle de proximité qui prévalait dans les accords. Ainsi, les hommes et les femmes étaient belles (sic). Boileau, Racine ou Corneille étaient-ils des rebelles féministes, des fossoyeurs de la langue ? Silence dans les rangs. Ça, c’était jusqu’à ce qu’en 1647, un certain Claude Favre de Vaugelas, membre de la jeune Académie française, préconise que le masculin doit l’emporter en grammaire, car il « est plus noble que le féminin » . Un siècle plus tard, le professeur Nicolas Beauzée justifie ce précepte en expliquant que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorit­é du mâle sur la femelle ». Ben voyons.

Piano piano, les SR… Et Causette, dans tout ça ? Qu’est-ce qu’il fiche LE magazine « plus féminin du cerveau que du capiton » , qui défend depuis bientôt neuf ans les droits des femmes ? Il inclut ou il inclut pas ? Bah… On peut bien vous l’avouer (mezza voce) : ça fait longtemps qu’on doit s’atteler à un Grenelle de l’écriture inclusive et que l’on… remet au lendemain. Et c’est un peu aussi à cause de nous, les secrétaire­s de rédaction (SR pour les intimes) de Causette. Nous nous sommes hâtées… d’attendre.

Pas très causetto-compatible tout ça, nous direz-vous. Mais, franchemen­t, revoir notre charte en y intégrant les principes de l’écriture inclusive, c’était pas de la tarte. Primo, il a fallu examiner toutes les règles, trancher entre le « all inclusive » (si on oublie les personnes transgenre­s, en transition et les agenres, on va être taxées de transphobe­s !) et l’inclusion

E« modérée » (trois ou quatre règles de base pour commencer, c’est moins périlleux, non ?). Deuxio, rédiger la nouvelle charte le plus clairement possible (mal de crâne). Tertio, la faire appliquer par les rédacteurs et les rédactrice­s (parce que si les SR doivent en plus réécrire tous les articles à la sauce inclusive, on n’est pas à l’abri d’un pétage de plombs). Bref, ça nous a valu quelques prises de tête. Morceaux choisis… « Y a au moins un truc sur lequel on est déjà au carré : les droits des femmes, ça c’est acquis chez tout le monde à Causette. Et pour ce qui est des “droits humains” et pas “droits de l’homme”, on y est presque. » – « Champagne ! » « Pour la féminisati­on des métiers, ça se corse : auteure, auteuse ou autrice ? Même Le Robert et le Larousse ne sont pas d’accord : autrice pour l’un, auteure pour l’autre ! Et l’Académie qui en remet une couche : “Les termes chercheure, professeur­e, auteure, par exemple, ne sont aucunement justifiés linguistiq­uement car les masculins en – eur font, en français, leur féminin en – euse ou en – trice.” Et tu a lu son communiqué : “Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ?” Si on comprend bien, la féminisati­on ne serait qu’une “forme seconde et altérée”. Sympa, les gars… – « Hum… restons simple, OK ? Ce sera “auteure”, comme on le faisait déjà ! »

« Qu’est-ce qu’on fait avec la règle de proximité pour les accords (“Les hommes et les femmes sont belles ?”) ? Sérieuseme­nt, c’est chelou, non ? Pfff, je sais que c’est une question d’habitude, mais je dois être réac, je ne m’y fais pas. Et toi ? » – « Ben, je crois surtout qu’on va se mélanger les pinceaux, on va oublier de corriger à chaque fois. Super risqué ! » – « Sinon on peut aussi opter pour l’accord de majorité : quand les hommes sont largement supérieurs en nombre, exemple : “les académicie­ns sont des ringards”, au lieu de “les académicie­n·nes sont des ringard·es ”. C’est plus lisible. » – « Rigolote, va ! Dans ton exemple, c’est évident que les mecs sont plus nombreux, mais dans d’autres situations, tu ne le sauras pas forcément ! » – « T’as raison. Et si on ne changeait rien sur les accords… » – « Non mais, on est pour la déconstruc­tion du sexisme ou pas ?! Oui ! Donc… accord de proximité, c’est évident ! »

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