Ma couleur, mon genre
« Il est temps d’oser les cheveux rouges pour un look glamour, sexy et résolument rock ! » recommandait Grazia, en 2016. « Il n’y a pas que les personnes aux looks gothiques qui peuvent porter des cheveux violets », rassurait Femme actuelle, en février 2017. « On peut tout à fait être ultra-féminine et avoir une coloration verte », insistait Get-the-look.fr, un mois plus tard. Il semble loin le temps où parer sa tignasse des couleurs de l’arc-en-ciel équivalait à une déclaration de guerre façon « société, tu m’auras pas ». Plus un prof pour tiquer sur les mèches grises d’une collégienne, plus une grand-mère pour s’émouvoir des reflets mauves dans les tresses de sa descendance… Et d’ailleurs, plus grand monde non plus pour revendiquer un fuck au système par la révolution capillaire !
Pour Hubert Artus, auteur du livre Pop Corner * (et collaborateur de Causette), si les punks sont bien les premiers à avoir franchi le Rubicon de la couleur acidulée dans les années 1970, notre époque s’inspire plutôt « des années 1980, ultra colorées et tout en paillettes ». Bien loin des contestations sociales chères à nos amis keupon. « Pour moi, se colorer les cheveux dans des teintes insolites aujourd’hui, c’est ce qui se fait de plus politiquement correct, car la télé est remplie de gens tatoués, piercés et aux cheveux colorés, analyse Hubert Artus. On ne transgresse plus avec sa couleur de cheveux, on suit la mode. » On suit les Rihanna, les Katy Perry, les footballeurs ou les pop stars japonaises qui osent toutes les extravagances capillaires. Mais plus simplement, on suit ses envies. Pierre-Jean s’est, « sur un coup de tête », décidé pour des cheveux bleus, qui ont rapidement tourné au vert. « C’est un truc à tester au moins une fois dans
Gsa vie, s’amuse ce vingtenaire qui travaille dans le multimédia. Durant ces mois verts, j’ai eu l’impression que cette couleur symbole de calme influençait inconsciemment mes rapports avec les gens. Ils avaient l’air plus apaisés et plus sympas à mon égard. »
Et si les cheveux colorés de 2018 combinaient affirmation de soi et messages véhiculés, l’air de rien ? Et souvent, une réflexion en douceur sur le genre. Les cheveux roses de Cédric, blogueur qui déconstruit les clichés sur la masculinité sur Le Mecxpliqueur, sont « une façon de montrer au monde comment [il se] sent à l’intérieur, c’est-à-dire pas tout à fait viril, pas tout à fait classiquement masculin », a-t-il expliqué au podcast Les Couilles sur la table. C’est ce même type de réflexion qui a poussé Yasmina, élève danseuse, à orner ses courtes boucles d’un violet devenu bleu. Une manière de s’afficher « à la fois féminine et masculine ». Sans qu’elle l’ait anticipé, ses cheveux bleus se font aussi l’étendard d’une certaine liberté. Il y a quelques semaines, la petite fille d’une famille syrienne, à qui elle donne régulièrement de l’argent dans le métro, a ouvert de grands yeux quand elle a entendu Yasmina lui parler en arabe. « Mais tu es arabe, toi qui as les cheveux bleus ? – Eh ouais ! » lui a-t-elle rétorqué avec un grand sourire. Finalement, « les seuls pour qui ça a été punk, dit-elle en riant, ça a été mes parents. Ma mère a exigé que je me teigne de nouveau dans une couleur “neutre”, mais je n’ai pas cédé. Cette couleur, je ne peux pas la cacher, parce que c’est vraiment moi. »
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