Causette

« J’ai essayé la partouze, je me sentais dans un mauvais Dorcel »

Chaque mois, la journalist­e et essayiste Camille Emmanuelle, auteure de Sexpowerme­nt, le sexe libère la femme (et l’homme)*, marche aux côtés d’une femme ou d’un homme, d’un anonyme ou d’une personnali­té, pour parler de son rapport à la sexualité.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE EMMANUELLE – ILLUSTRATI­ON CAMILLE BESSE

« Vous savez comme les gens sont beaux la nuit », dit Alexandre, le personnage de La Maman et la Putain, de Jean Eustache, joué par Jean-Pierre Léaud. Dorothée, 36 ans, est belle de jour comme de nuit. C’est une noctambule, un oiseau de nuit, qui pourtant a un travail diurne. Elle est directrice dans l’événementi­el. Qu’il soit midi ou minuit, elle porte le même « uniforme » : rouge à lèvres couleur carmin, eye-liner noir, tenue disco eighties. On la croise, certains jours, plus « cernée » que d’autres. Ces jourslà, on devine qu’elle a usé le sol des dance-floors jusqu’à point d’heure. Le soir de notre « marche du sexe », il vente, il pleut, il fait extrêmemen­t froid. Nous commençons quelques minutes à marcher dans la ville, mais grelottons. Nous décidons de nous réfugier, très rapidement, dans un bar. Au départ, je suis déçue : le principe de la marche du sexe, c’est de marcher, pas d’être accoudées à un zinc ! Mais quand on discute avec Dorothée, il y a toujours du mouvement. Sa voix grave nous transporte dans une vie agitée, joyeuse et curieuse. Je la suis au bout de sa nuit.

CAUSETTE : Tu es une femme sexy et qui semble avoir de l’assurance. Est-ce que cela a toujours été le cas ?

Pas du tout ! Cela ne fait pas très longtemps que je

DOROTHÉE : suis à l’aise avec mon corps ou avec ma féminité. Avant, par exemple, je passais mon temps à lisser mes cheveux. Je voulais absolument cacher ces boucles. Elles font partie de moi, c’est naturel, mais pourtant, je les détestais. Un jour, j’avais 28 ans, j’étais avec mon mec de l’époque et je me suis baignée dans la mer. Et forcément avec l’eau, ben, ils ont bouclé. Ça faisait trois ans que j’étais avec ce mec, il ne m’avait jamais vue comme ça. [Elle rit.] Il m’a regardée, en mode « Mais… mais… qu’est-ce qui se passe ? » Et il m’a dit, surtout : « C’est trop beau. » À partir de ce jour-là, j’ai commencé à les laisser comme ça et à prendre conscience de ma féminité, aussi.

Est-ce que cette période de découverte de ta féminité est liée à une découverte de ta sexualité ?

Oui, complèteme­nt, c’est à ce

DOROTHÉE : moment-là que j’ai eu un déclic. J’ai commencé à prendre conscience de mon corps. Avant, je me cachais vachement. Ma première expérience sexuelle, j’avais 20 ans, et je me cachais les seins. Je mettais toujours un tee-shirt…

Pendant l’amour ?

Oui ! Je n’étais pas du tout à l’aise. Ce n’est qu’à la

DOROTHÉE : fin de ma vingtaine que j’ai commencé à me sentir mieux. C’est avec le mec dont je te parlais, celui avec qui je suis partie en vacances au bord de la mer. Aujourd’hui, je sais ce que je veux, je me sens bien et j’aime bien le sexe.

” Je ne me conçois pas comme une salope. Je fais ce que je veux, mais je ne le fais pas de manière vulgaire ”

“On s’est installé·es ensemble et c’est très chouette. J’ai réalisé que j’étais plus romantique que ce que je pensais ! ”

[Elle regarde autour d’elle, dans le bar, pour vérifier que personne n’écoute notre conversati­on.]

Tu es un oiseau de nuit, tu aimes la fête. La nuit est-elle plus cul que le jour, selon toi ?

Disons que la nuit, il y a une autre facette de toi qui

DOROTHÉE : se découvre. Qui dit nuit dit aussi peut-être ivresse, et donc désinhibit­ion. Quand j’étais célibatair­e, je sortais beaucoup et si je buvais un peu, c’était plus facile de rencontrer quelqu’un. Je savais que ce n’était pas l’homme de ma vie, mais je me livrais plus.

Est-ce qu’il y a une limite à ce côté aphrodisia­que de l’alcool ?

Oui, quand tu commences à vomir ! [On rit toutes les

DOROTHÉE : deux.] Non, plus sérieuseme­nt, il faut faire un peu attention. [Une serveuse vient vers nous. Nous commandons chacune un verre de blanc.] Que tu sois un mec ou une fille, si t’es trop bourré·e, tu ne ressembles à rien ! Tu crois que c’était super, le sexe, et en fait, c’était tout pourri. [Elle éclate de rire.] Et le lendemain, t’es vraiment dans le : « tu t’es vu·e quand t’as bu » ! Je me suis déjà dit : « Et merde, qu’est-ce que je me suis tapé hier soir… » Mais cela ne m’arrive plus, c’était dans ma période célibatair­e. Là, cela fait un an que je suis en couple.

Est-ce que tu t’es déjà préoccupée de l’image sociale, des discours stéréotypé­s sur les hommes et les femmes ? Notamment celui qui voudrait qu’un homme qui enchaîne les conquêtes sexuelles soit un don Juan et une femme qui le fait soit une « salope » ?

J’en ai un peu rien à foutre. C’est vrai que j’ai parfois

DOROTHÉE : senti que je dérangeais. Mais je suis globalemen­t très à l’aise avec tout cela, car je ne me conçois pas comme une salope. Je fais ce que je veux, mais je ne le fais pas de manière vulgaire. Par exemple, je ne me suis jamais tapé un mec, son pote et après, toute la smala. Ou bien le mec d’une copine. La vulgarité se situe là, pour moi, et je me suis toujours interdit ce genre de choses.

Comment est-ce que tu envisages aujourd’hui ton avenir sentimenta­l et érotique ?

Aujourd’hui, à 36 ans, après avoir eu pas mal de

DOROTHÉE : relations, je suis avec quelqu’un, qui est plus âgé que moi. Et j’ai très envie d’avoir un enfant. Pas là, maintenant, tout de suite, mais dans les prochaines années. Au départ, je ne vivais pas avec lui, et j’aimais bien cette liberté. Et puis… on s’est installé·es ensemble et c’est très chouette. J’ai réalisé que j’étais plus romantique que ce que je pensais ! Mais comme il voyage beaucoup, je garde des espaces de liberté.

Nocturnes ?

Oui et non, je me suis un peu calmée au niveau de la

DOROTHÉE : fête. Quand je sors, je sors vraiment, mais par exemple, là, ça fait un mois que je ne suis pas allée en boîte.

Et c’est beaucoup, pour toi ?

Ben oui ! [Elle rit.]

DOROTHÉE :

Vous êtes un couple monogame ?

Oui. Je m’interroge, comme tout le monde, sur

DOROTHÉE : comment ça se passe, tout cela, au bout de quelques années. Comment « garder la flamme », comme on dit. Je n’ai pas de réponses. Mais partir en voyage, en escapade, faire des trucs un peu chelou à deux, c’est important, je pense. Quand je dis chelou, ce n’est pas forcément sexuel, hein, je suis assez jalouse ! Je suis curieuse, je suis ouverte, mais j’ai des limites. Ça m’est déjà arrivé, avec un ex, d’essayer le sexe à plusieurs, la partouze, et ça a été un fiasco terrible.

C’est marrant, fiasco ça veut dire « échec », mais ça veut dire aussi « défaillanc­e sexuelle » chez l’homme… Pourquoi ça a été un échec ?

J’aimais bien l’idée. Mais, sur place, j’ai vécu un grand

DOROTHÉE : moment de solitude. Je me suis sentie conne… Ça se passait chez nous, avec des connaissan­ces, et j’ai trouvé cela ridicule, limite pathétique. Je me sentais dans un mauvais film, un mauvais Dorcel, tu vois ? Après, une autre fois, je suis allée dans un club libertin, et là, c’était une bonne expérience. Je n’ai pas participé aux ébats. J’ai juste bu un verre, mais comme c’était une période pendant laquelle je n’étais pas à l’aise avec mon corps, ça m’a fait du bien d’être confrontée à d’autres corps dénudés. Aujourd’hui, cette forme de sexualité, ce n’est pas forcément quelque chose qui m’attire. Mais si on me dit demain : « Tiens on y va », j’irai, je pense. C’est mon côté « curieuse », aventurièr­e, qui est toujours là, quoi qu’il se passe…

* Sexpowerme­nt, le sexe libère la femme (et l’homme), de Camille Emmanuelle. Éditions Anne Carrière, 2016.

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