Causette

On ne badine pas avec les Teutons

Si en France, la drague reste l’apanage des garçons, ce n’est pas toujours le cas dans d’autres pays. Ainsi, outre-Rhin, les hommes ne draguent pas. C’est d’autant moins naturel pour eux qu’ils craignent de passer pour des mufles.

- PAR JOSÉPHINE LEBARD

Installée devant un Russischer Tee dans un café cosy du quartier de Kreuzberg, Hélène Kohl, auteure d’Une vie de pintade à Berlin *, rassemble ses souvenirs : « Cela fait quinze ans que j’habite cette ville. Durant cette période, j’ai été draguée une fois à mon cours de tango. Et la fois où, durant une soirée entre amis, un garçon a collé sa jambe contre la mienne, je n’en revenais tout simplement pas ! »

Bienvenue à Berlin, la « capitale des célibatair­es ». En 2014, 53,9 % des foyers berlinois étaient composés d’une seule personne. Or, dans cette ville, la carte du Tendre emprunte des chemins qui peuvent paraître bien tortueux aux voisin · es français·es. « Les hommes ne draguent pas ou ont beaucoup de mal à le faire », résume Hélène Kohl. Preuve que, effectivem­ent, la chose n’est pas très naturelle outreRhin, le médiatique coach Horst Wenzel a créé la Flirt University, histoire de familiaris­er ses compatriot­es avec le concept. D’où une certaine stupeur pour celles qui débarquent dans la capitale : « À Paris, le flirt est répandu, explique Marlene, née en Allemagne, mais élevée en France et revenue il y a quelques années dans son pays d’origine. Quand je me suis installée à Berlin, j’ai eu l’impression d’avoir perdu tout sex-appeal. »

Une éducation féministe

Le Berlinois serait-il du genre coincé ? Les choses sont plus complexes que cela. « Ici, ce sont aux femmes de manifester clairement qu’elles sont intéressée­s. Un homme ne doit surtout pas se montrer pressant », décrypte Nele, avocate trentenair­e originaire de Hambourg. Les mères allemandes des années 1970-1980 ont fait le job auprès de leurs fils : « En termes d’éducation féministe, elles ont été plus loin que les Françaises, estime Marlene. Elles ont martelé dans la tête de leurs fils que les femmes ne sont pas des objets. » Le message est visiblemen­t bien passé. Et c’est évidemment une victoire. Mais nos hommes allemands auraient-ils, du coup, du mal à faire la distinctio­n entre séduction, prise d’initiative et harcèlemen­t ? Visiblemen­t, ils ne s’y retrouvent plus. C’est ballot !

Dans une chronique de 2015 pour le Süddeutsch­e Zeitung, la journalist­e Julia

“En Allemagne, ce sont aux femmes de manifester clairement qu’elles sont intéressée­s. Un homme ne doit surtout pas se montrer pressant ”

Nele, avocate, originaire de Hambourg

Rothhaas revient sur la remarque d’un homme de son entourage : « Je te ferais bien un compliment sur ta robe, mais ça ne se fait pas en Allemagne. » Ne pas compter sur l’Allemand pour en faire des tonnes, de peur de passer pour un gros mufle.

Pour Marlene, un exemple demeure assez éclairant : « Si tu sors en boîte et que tu te fais draguer alors que tu es en train de danser, c’est clair que le type n’est pas un Allemand. » C’est ainsi que Nele s’est retrouvée à discuter avec un charmant jeune homme de minuit à cinq heures du matin dans un bar. L’attrait mutuel était palpable, mais Nele n’ayant rien engagé franchemen­t, à potronmine­t, chacun est rentré tranquille­ment chez soi. C’est donc aux filles de montrer si, pour aller plus loin, les voyants sont au vert ou non. Et mieux vaut ne pas faire dans le superflu. « L’humour, le second degré, les allusions, ce n’est pas vraiment le registre ici, résume Marlene. En France, la drague repose sur de la légèreté, de l’amusement et, en un sens, une certaine forme de jeu. Ici, il faut se dire les choses franchemen­t. Si tu veux quelque chose, tu y vas ! »

Judith Duportail, journalist­e française installée à Berlin depuis un an, est l’auteure d’un excellent texte sur les aspects sexy du consenteme­nt sur le site Medium.com. Elle raconte comment, après avoir embrassé un garçon au cours d’une soirée – et l’y avoir explicitem­ent invité – celui-ci lui a demandé s’il pouvait pousser plus loin ses caresses, démarche qui n’a pas amoindri les élans du moment, bien au contraire. « Ici, il n’y a pas de flirt gratuit, constatet-elle. La drague est moins ludique, mais plus sincère. » Selon la jeune femme, « la franchise est valorisée, au-delà de l’agréable et du poli ». Elle en a fait elle-même l’expérience. Après un rencard « trop relou » avec un garçon, elle explique diplomatiq­uement à leur copain commun qu’elle préfère qu’ils « restent amis », selon l’expression consacrée dans l’Hexagone. De son côté, le Berlinois raconte cash à cette même connaissan­ce partagée que, franchemen­t, la Française ne lui plaît pas tant que ça. « Et je ne suis pas censée mal le prendre », décrypte Judith Duportail. À cette franchise qui peut nous sembler un peu raide, Marlene voit au moins un avantage : « Cela dédramatis­e les râteaux. »

Judith Duportail y trouve un autre bénéfice : « Je n’ai jamais eu honte de mon désir, de dire ce que je voulais. À Paris, j’apparaissa­is comme une amazone. Ici, je respire puisque personne ne te juge si tu vas vers les hommes. »

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