L’ordonnance du Dr Macron
S’il avait pu dire qu’il s’envoyait du pinard au petit déj’, croyez bien qu’il l’aurait fait. Emmanuel Macron n’a pas hésité à raconter qu’il buvait du vin « le midi et le soir » . Et que tant qu’il sera président, il n’y aura pas « d’amendement pour durcir la loi Evin », loi censée restreindre la publicité pour les alcools, mais régulièrement détricotée. « Je crois beaucoup à la formule de Pompidou : “N’emmerdez pas les Français” », a-t-il ajouté. La reine des emmerdeuses, ce serait donc Agnès Buzyn, sa ministre de la Santé, qui a osé dire que « l’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky. Il y a zéro différence […]. On a laissé penser à la population française que le vin serait protecteur, qu’il apporterait des bienfaits que n’apporteraient pas les autres alcools. C’est faux. Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre ».
Attendez, là. Le vin, ce sang de la terre française, ce breuvage des dieux qui fait rayonner notre pays et notre « art de la table » à l’international, nous collerait des cancers aussi banals et laids que la première bière venue ? Macron, qui a nommé conseillère agriculture Audrey Bourolleau, ancienne déléguée générale de Vin & Société, l’organisme chargé de défendre les intérêts de la filière viticole, ne pouvait pas laisser passer ça : « Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin. »
Aucun problème avec le pinard. Circulez, y a rien à voir. Et des fois que le président se sentirait seul, une tripotée de vignerons et de détenteurs du bon goût français, comme Bernard Pivot et Erik Orsenna, ont volé au secours du ballon de rouge. « Mme Buzyn, cessez de diaboliser le vin, qui est une part de la civilisation française ! » s’étranglent-ils dans une tribune outrée. Parmi les signataires, il y en a un qui fait tache comme un gros rouge premier prix : David Khayat, bref directeur de l’Institut national du cancer (Inca) au milieu des années 2000 et ex-chef de service star en cancérologie à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Parce qu’il y a chez nous une tradition aussi respectée que l’élevage des vins en fûts de chêne : les accointances entre le lobby du vin et des médecins médiatiques. Alors que l’Organisation mondiale de la santé se tue à dire que l’alcool (et donc le vin, coucou !) présente un risque pour la santé dès le premier verre, le Pr Khayat, qui a fait financer en partie sa fondation, l’Association pour la vie-Espoir contre le cancer (Avec), en 2013, à coups de ventes aux enchères de flacons de prestige, n’hésite pas à déclarer, en 2015, lors de sa nomination comme « pape du Château Pape Clément », que le vin consommé avec modération n’est pas cancérogène et qu’il pourrait même être bénéfique *. De bons et loyaux services qui lui ont valu le titre d’ « homme de l’année 2012 » par la Revue du vin de France.
Les lobbies, aidés par un discours médical ambigu, voire franchement erroné, ont réussi à nous mettre la tête dans le tonneau et à nous convaincre que le vin (et en particulier le rouge, notre principale production) était presque un médicament, grâce à ses merveilleux tanins et ses polyphénols bienfaisants. Un mythe qui ne repose sur rien de scientifique. Mais qu’on siffle comme une bouteille de Romanée-Conti.