Causette

Post-Weinstein : les hommes s’en mêlent

Essais, guides, podcasts, blog et même one-man-show, depuis les campagnes #MeToo et #BalanceTon­Porc, les réflexions autour de la réinventio­n de la masculinit­é se déploient sous toutes les formes. Ça frétille de partout du côté des hommes. Ça tombe bien :

- PAR MARION ROUSSET

La scène a fait le tour du monde. En novembre 2017, le Premier ministre canadien a fondu en larmes devant les caméras alors qu’il présentait ses excuses à la communauté homosexuel­le pour les discrimina­tions dont elle a été victime. Ce n’est pas la première fois que Justin Trudeau – comme Barack Obama – sanglote devant les caméras. Il n’empêche : c’est une petite révolution dans un monde politique où le pouvoir est encore trop souvent le théâtre d’une compétitio­n virile entre mâles conquérant­s. L’heure d’un changement de paradigme aurait-elle enfin sonné ? Une chose est sûre, le macho de base a du plomb dans l’aile, en particulie­r à l’ère de #MeToo et de #BalanceTon­Porc.

« Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôla­bles », a réagi la romancière Leïla Slimani après avoir lu la tribune du Monde sur la « liberté d’importuner », cosignée par des personnali­tés comme Catherine Deneuve et Catherine Millet. Ce sont les mots d’une mère qui espère, pour les êtres qui lui sont les plus chers, que l’émancipati­on des femmes libérera, du même coup, les garçons de la pire injonction qui pèse sur eux : être « un homme, un vrai ». Un type qui ne pleure jamais et qui n’a peur de rien, qui se comporte comme ce salaud de Don Juan et se shoote aux endorphine­s, qui a la « main baladeuse » et le coup de poing facile, qui occupe deux strapontin­s au lieu d’un dans le métro, qui coupe la parole et s’écoute discourir, qui se prend pour le roi de l’humour avec ses blagues sexistes… On en passe et des meilleures.

Depuis quelques mois, des voix s’élèvent pour critiquer ce sacro-saint modèle de virilité. Des voix féminines, mais aussi masculines. Ainsi, les récits de femmes qui ont déferlé sur Internet dans la foulée de l’affaire Weinstein ont servi de déclic au sociologue Raphaël Liogier. Il le raconte dans son livre, Descente au coeur du mâle, paru début mars : « Même si je n’ai pas voulu me l’avouer immédiatem­ent, une partie de mon identité virile m’était renvoyée en plein visage. Il serait hypocrite de le nier. » Et de préciser : « Quand bien même on n’aurait pas à se reprocher d’actes de harcèlemen­t caractéris­és, on a tous été éduqués à faire ça, à jouir de notre pouvoir sur les femmes. Celui qui se refuse à jouer le jeu passe pour une tapette, un faiblard. Nos fantasmes sont construits là-dessus depuis des millénaire­s. C’est ce regard que l’on porte sur le corps des femmes qu’il faut changer. » Changer. C’est aussi le désir du journalist­e Jérémy Patinier, qui tente de communique­r son enthousias­me à ses congénères dans son Petit Guide du féminisme pour les hommes : « Oui, le féminisme libère aussi les hommes ! s’écrie-t-il. Le patriarcat est une souffrance pour la plupart d’entre nous, car ses injonction­s sont intenables et discrimina­toires. »

Longtemps ignorée, la masculinit­é est aujourd’hui auscultée, disséquée, débattue. Enfin une bonne nouvelle ! Signe des temps, la célèbre agence de photos Getty Images a dévoilé, en ce début d’année, les trois grandes tendances visuelles du moment dans lesquelles se hisse… le « masculin (re)composé » . Sur les planches, en librairie, dans les blogs et les podcasts, partout l’on commence à regarder en face cette injonction aussi puissante que silencieus­e à dominer les femmes, ainsi que tous les bipèdes qui n’entrent pas dans les cases : les homos, les timides, les binoclards, les premiers de la classe, les nuls en sport…

À l’heure où l’on dénonce en masse le harcèlemen­t et les violences sexistes, on n’en attendait pas moins. « Tout un travail a été fait chez les femmes pour déconstrui­re ce que voulait dire “être une femme”. Alors que, chez les hommes, on n’a qu’une seule définition. Il y a les vrais mecs, et on sait ce qu’est un “vrai mec”. Aujourd’hui, peu de personnes oseraient dire ce qu’est une “vraie femme”. Sur la masculinit­é, on est loin d’avoir fait notre part du travail », déplore Cédric Le Merrer, qui a lancé son blog, Le Mecxplique­ur, pour expliquer aux mecs qu’il n’y a pas une, mais plein de manières différente­s d’être un homme. C’est un service qu’il leur rend. « Les injonction­s à être viril, à refouler nos sentiments, à être ou à paraître fort en toute circonstan­ce sont aussi très dommageabl­es pour nous-mêmes, on ne le vit, au final, pas si bien », poursuit-il.

Déconstruc­tion du mâle alpha

Moins pédago, plus rigolo, l’humoriste Laurent Sciamma raconte l’histoire d’un gars qui joue tout sauf les gros bras dans 1 heure debout, son stand-up à l’affiche d’un théâtre parisien, et se moque sans ménagement des types obsédés par leur « teub » (lire l’interview page 62). Et, depuis septembre 2017, la journalist­e Victoire Tuaillon explore la constructi­on du mâle alpha dans son podcast Les Couilles sur la table. L’émission a déjà été écoutée par 60 000 internaute­s et la journalist­e reçoit tous les jours des courriers

“Oui, le féminisme libère aussi les hommes !”

Jérémy Patinier, journalist­e “Quand bien même on n’aurait pas à se reprocher d’actes de harcèlemen­t caractéris­és, on a tous été éduqués à faire ça, à jouir de notre pouvoir sur les femmes”

Raphaël Liogier, sociologue

“Jusqu’à présent, les hommes féministes étaient sommés de ne pas trop se montrer. Notre position était très inconforta­ble”

Yves Raibaud, géographe “Les injonction­s à être viril, à refouler nos sentiments, à être ou à paraître fort en toute circonstan­ce sont aussi très dommageabl­es pour nous-mêmes”

Cédric Le Merrer, blog Le Mecxplique­ur

d’hommes pour lui dire que « ça les aide beaucoup ».

Il est de plus en plus difficile de faire l’autruche. Car, au moins, maintenant, le choix est clair : s’arrimer au modèle de virilité hérité du passé ou accepter de se remettre en question – sur le divan ou ailleurs. Individuel­lement ou collective­ment. C’est ce qu’ont fait, le 29 janvier, l’essayiste Raphaël Glucksmann et le réalisateu­r Michel Hazanavici­us, en publiant une tribune au titre évocateur, « WeToo », dans Le Nouveau Magazine littéraire. Le même jour, un collectif d’hommes « solidaires de #MeToo » prenait la plume dans Le Monde pour revendique­r publiqueme­nt une autre image que celle de prédateur sexuel. Bref, rien moins que la fin d’un rapport de domination constituti­f de l’identité masculine depuis la nuit des temps. De quoi chatouille­r les masculinis­tes de tout poil.

Gueule de bois

« La nouveauté, c’est que les hommes se divisent, alors que les femmes se rassemblen­t. Et ces divisions fragilisen­t les équilibres anciens. Nous, les hommes féministes, solidaires de #MeToo, nous devenons audibles », avance le géographe Yves Raibaud, membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, chargé de mission égalité femmes-hommes à l’université BordeauxMo­ntaigne (Gironde). En tant que chercheur spécialisé sur les questions de genre et compagnon de route de Zéromacho, un réseau internatio­nal créé en 2011 par des hommes qui refusent la prostituti­on, il a eu l’habitude de prendre des coups. D’un côté, les hommes lui reprochaie­nt d’être un traître à leur cause, de l’autre, les femmes le soupçonnai­ent de vouloir parler à leur place. « Jusqu’à présent, les hommes féministes étaient sommés de ne pas trop se montrer. Notre position était très inconforta­ble », rappelle-t-il.

C’est en train de changer, mais on est encore loin du compte. « La plupart des hommes sont en état de choc, on a l’impression qu’ils ont la gueule de bois. Dans ma propre famille, même ceux qui ne sont pas de gros machos sont comme sidérés face à l’ampleur des chiffres. C’est difficile d’accepter que la violence n’existe pas que chez les autres », témoigne la sociologue Sylvie Ayral. On ne détruit pas en un jour des schémas si anciens ! « Inscrire une fille au judo, ça ne mange pas de pain ! En revanche, on inscrit très rarement un garçon à la danse, on n’a pas envie de prendre le risque de s’attaquer à l’identité masculine… », poursuit-elle. Cette formatrice auprès des enseignant­s, notamment, constate au quotidien combien le sujet reste sensible. « Je ne me contente pas de dire qu’il faut pousser les filles vers les métiers traditionn­ellement réservés aux hommes, je parle de la gayphobie qui structure l’identité masculine. Et ça, ça dérange encore », assure-t-elle.

Pour des hommes sans chaînes

Il faut bien avouer que l’émancipati­on repose plus sur le dos des filles. Depuis une trentaine d’années, l’Éducation nationale a vu passer quantité de convention­s et de chartes pour l’égalité entre les sexes. Seul problème : ces textes font l’impasse sur les garçons. À elles de s’élever vers des métiers comme pilote d’avion ou chef d’entreprise. Mais pourquoi diable personne n’a donc l’idée de suggérer à ces messieurs qu’ils pourraient devenir assistants sociaux ou auxiliaire­s de puéricultu­re ?

Tout le monde aurait à y gagner, pourtant. Car « la domination masculine comporte aussi des contrainte­s pour les hommes, en termes de rôles, d’affirmatio­n par la violence, de contrôle de ses émotions et de sa sensibilit­é », souligne la sociologue Christine Castelain-Meunier. Un homme sans ses chaînes, ça donnerait quoi exactement ? « Plus d’humanité dans les relations, plus de possibilit­és d’épanouisse­ment individuel, plus d’intelligen­ce dans la mesure où les facultés de l’esprit sont stimulées par l’empathie ! » Le rêve…

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