Causette

Laurent Sciamma, l’humoriste du 3e type

LAURENT SCIAMMA

- PROPOS RECUEILLIS PAR SARAH GANDILLOT

Quelle bouffée d’air frais dans le paysage du stand-up français ce Laurent Sciamma. Dans 1 heure debout, le titre de son seul en scène, il fait bidonner le public avec des thèmes tout à fait nouveaux et pas forcément hilarants de prime abord : le féminisme, le sexisme, les injonction­s et les clichés autour du genre. Faut dire qu’il a été à bonne école puisque Laurent est le petit frère de la cinéaste Céline Sciamma ( Tomboy, Bande de filles). Tremble, Jean-Marie Bigard…

CAUSETTE : À quel moment avez-vous envisagé que les clichés de genre étaient potentiell­ement humoristiq­ues ?

Quand j’ai commencé LAURENT SCIAMMA : à écrire, il y a trois ans, ça a tout de suite fait partie des sujets que j’avais envie d’aborder. Déjà parce que ces questionsl­à m’habitent personnell­ement et que je voulais partir de moi pour trouver mon clown. Mais j’avais également l’intuition que ça pouvait trouver un public parce que c’était nouveau et singulier. J’espérais que l’époque serait attirée par ça.

Rire des représenta­tions liées à la masculinit­é, c’est nouveau ?

La question de la masculinit­é a touL. S. : jours existé dans la comédie. Avec Chaplin, déjà. C’est un personnage sensible qui se prend des torgnoles par des gros gendarmes américains. Et lui il est là, fragile, avec son petit chapeau et un corps qui dysfonctio­nne un peu. Même Gad Elmaleh dans son sketch sur « le blond » s’amuse de ces codes-là. « Le blond » est une sorte de stéréotype de l’homme parfait. La nou- veauté, c’est peut-être d’affirmer que ce n’est pas grave de ne pas coller aux représenta­tions. Qu’on peut être très épanoui là-dedans. Mon propos n’est pas simplement de me tourner en ridicule parce que je ne rentre pas dans les codes des gagnants. Mais, au contraire, de pouvoir le revendique­r, d’en faire quelque chose de positif. Mon idée, c’est aussi de parler de féminisme en l’assumant pleinement. En riant de nos privilèges, des inégalités, des injustices. Faire des blagues du style « je suis chétif » ou « je suis pas un mâle alpha », c’est pas le plus compliqué. Et ça existait déjà avant. Mais prendre le sujet frontaleme­nt et essayer de déconstrui­re tout ça par le rire alors, là, ça devient plus dur. Il ne faut surtout pas avoir l’air d’un donneur de leçons ou, pire, de faire une sorte de TEDx un peu rigolo.

Être un homme féministe, cela reste une posture difficile à tenir ?

Il y a encore quelque temps, je pouvais L. S. : me faire charrier gentiment par mes potes sur le fait que j’étais un peu le féministe de service. Aujourd’hui, un peu moins. Preuve que les mentalités évoluent.

Quelles injonction­s à la virilité ont pu être compliquée­s à vivre pour vous ?

Dans certaines configurat­ions sociales,

L. S. : notamment les groupes de garçons – au sport ou en colonie, par exemple –, mon rapport sensible à l’autre me mettait en décalage. Même plus tard, dans les études ou dans le travail, je n’étais pas prêt à jouer des coudes ou à user de la force pour arriver à mes fins. Tu ne peux pas être juste gentil et ouvert quand tu es un mec, en fait. Il faudrait être un peu égoïste, accepter la loi du plus fort, la compétitio­n. Or, moi, j’ai eu une conscience politique très tôt et je vivais les injustices très frontaleme­nt, même quand elles ne me concernaie­nt pas.

Pensez-vous que l’affaire Weinstein va entraîner une vraie prise de conscience des hommes ?

La masse de témoignage­s, qui rap

L. S. : portent des faits précis, empêche toute remise en question, je crois. Évidemment, il y a toujours une vague réactionna­ire, un petit retour de bâton. Mais quand TOUTES les filles de ton réseau Facebook balancent un hashtag #MeToo, ça rebat les cartes. Le déni n’est plus possible. On ne pourra plus décemment dire que les filles exagèrent. C’est une révolution de dingue. Parce que là, on parle de harcèlemen­t. Mais, ensuite, ça va avoir un effet boule de neige. Cela va rencontrer d’autres luttes qui, en définitive, racontent toutes la même chose : il faut en finir avec ce système pyramidal obsolète. Quand on aura compris ça, on va tous franchir une étape, et surtout passer à autre chose ! On sera plus intelligen­ts, plus sensibles, plus connectés les uns aux autres, et donc tous beaucoup plus heureux ! Même le mec qui, aujourd’hui, se sent menacé et pense qu’il va y perdre se rendra compte qu’à terme, il en sortira gagnant. J’espère qu’on ne pensera plus en termes de rapports hommes-femmes, mais juste en termes d’individus ! On aura réglé la question quand on ne se posera plus la question.

Vous avez un sketch hilarant sur un pote qui flippe parce qu’il a un rendez-vous Tinder avec une féministe. Ça fait encore peur aux hommes, les féministes ?

À certains, oui. Même si c’est de moins

L. S. : en moins vrai. On est en train de basculer. C’est parce qu’on a évolué que cette blague peut fonctionne­r, d’ailleurs. Je n’aurais pas pu la faire il y a deux ans. Parce que, aujourd’hui, plus grand monde ne peut croire à cette ultracaric­ature de féministes représenté­e dans ce sketch. Donc tout le monde peut rire de l’énorme cliché que j’en fais.

Pour rebondir sur notre dossier sur les dragueuses (lire page 35) : quel est votre regard sur les filles qui osent ?

Persiste dans l’esprit de pas mal de

L. S. : gens cette idée qu’une nana qui drague, qui aime le sexe, c’est quand même une belle salope, quoi. Moi, je rêve d’un monde dans lequel on ne dira plus « Julie, c’est quand même une belle cochonne », mais : « Julie, c’est une belle indépendan­te. Une sacrée épicurienn­e. Julie, y a que le patriarcat qui lui est pas passé dessus. »

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Avec l’affaire Weinstein, “le déni n’est plus

possible. On ne pourra plus décemment dire que les filles exagèrent” “J’espère qu’on ne pensera plus en termes de rapports hommes-femmes, mais juste

en termes d’individus !”

1 heure debout, stand-up de Laurent Sciamma. La Comédie des trois bornes, à Paris, tous les dimanches, à 19 heures.

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