A LA RECHERCHE DE GINKA UNE VIE AVANT LA MORT
Au commencement, il y a un corps, lardé de coups de couteau, découvert sur un terrain vague dans ces zones périurbaines où la misère et la survie s’entretuent pour quelques restes. Et puis, il y a un auteur, Philippe Broussard, qui trempe sa plume dans la noirceur de ce fait divers pour redonner de l’humanité à ce corps sans vie et restituer son histoire. Au fil de son enquête, cette « fille de l’Est », c’est ainsi que l’on nomme péjorativement ces jeunes femmes pour invisibiliser leur identité, ressuscite sous les traits d’une Bulgare de 19 ans, prénommée Ginka. Cette jeune fille, qui rêvait d’ailleurs et de vie meilleure au bras de son amoureux, va subir en réalité les affres de la traite des corps, des vitrines de Bruxelles aux trottoirs de l’Est parisien.
L’enquête nous balade dans toute l’Europe pour reconstituer le parcours de Ginka et affiner, au fur à mesure des témoignages, le portrait d’une ado devenue prématurément maman. Pour évoquer la vie de Ginka, l’auteur a choisi de s’adresser à la fille de celle-ci, dont on ne sait rien à part qu’elle existe. Il lui livre l’histoire de sa mère à titre posthume, lui confie ce récit comme on dépose une urne, remplie des cendres du journal intime de Ginka. « Il fallait donner vie à ces mots alignés comme autant de cris, ils méritaient des noms, des lieux, des visages », nous explique Broussard. Le récit est sensible mais pas pleurnichard, parfaitement ancré dans la réalité d’une époque où les destinées sont monnayées et broyées. À la lecture de l’histoire de Ginka, on ne sait toujours pas s’il y a une vie après la mort. Par contre, on a l’assurance qu’il y en a une avant.