Causette

Fatoumata Diawara : la « malicienne »

LA “MALICIENNE ”

- PAR CARINE ROY PHOTOS RÉMY ARTIGES POUR CAUSETTE

Chanteuse, auteure-compositri­ce, comédienne et danseuse, Fatoumata Diawara s’est révélée grâce à Lamomali, le dernier album de Matthieu Chedid. Entre Bamako, Royal de Luxe, Timbuktu et Paris, son chemin s’est nourri de larmes, de danse et de chants bambaras. Cette Malienne au destin hors norme se bat pour les génération­s futures. Son deuxième album solo, Fenfo, engagé et envoûtant, sort ces jours-ci.

De prime abord, Fatoumata, dite Fatou, est impression­nante : grande et élancée avec son foulard en wax noir et orange vif, qui fait ressortir ses grands yeux en amande. Mais, en guise d’accueil, elle vous claque la bise franchemen­t, sans chichis, et rentre directemen­t dans le vif du sujet : « Pour écrire mes chansons, je vais chercher au fond de moi-même. En tant qu’enfant née en Afrique, je me suis battue seule pour exister. J’ai refusé un mariage forcé et tout ce qui m’était imposé. C’est pourquoi l’album s’appelle Fenfo : ça signifie en français “j’ai beaucoup à dire”. » Ça tombe bien Fatou, on est là pour ça ! Mais d’abord, on rembobine.

Fatoumata Diawara est née en 1982 en Côte d’Ivoire dans une famille de six frères et soeurs, mais elle a grandi au Mali, le pays d’origine de ses parents. Sa mère était couturière tandis que son père travaillai­t à la mairie. À ses heures perdues, il dirigeait aussi une petite troupe de danse dont faisait partie Fatou. C’est lui qui lui a offert sa première guitare. Depuis toute petite, donc, Fatou chante. Mais l’innocence de l’enfance est de courte durée. « À 9 ans, j’ai été adoptée par ma tante. Mes parents m’ont envoyée au Mali, parce que j’étais traumatisé­e par le décès de ma soeur de 10 ans. Un soir, alors qu’on avait joué ensemble toute la journée, elle s’est plainte d’avoir mal au ventre. À 10 heures le lendemain, elle est décédée. On n’a jamais su pourquoi. Pour exprimer mon manque d’avoir perdu Awa – paix à son âme –, je pleurais et je dansais tout le temps, mais avec trop de force, jusqu’à l’évanouisse­ment. On me ramassait dans la rue. Mes parents ont cru que j’allais me suicider. » La petite Fatou est donc recueillie par sa tante et son oncle, tous deux comédiens. À leurs côtés, elle va reprendre peu à peu goût à la vie. Alors qu’elle accompagne sa tante sur les plateaux de cinéma, le réalisateu­r Adama Drabo la remarque et lui offre, à 14 ans, ses trois premières répliques dans son film Taafe Fanga. En français, le titre signifie « le pouvoir des femmes ». Prémonitoi­re… Cette comédie, inspirée d’un récit traditionn­el malien, raconte comment des femmes se servent de masques sacrés pour prendre le pouvoir et inverser les rôles dans la société. À la suite de cette première expérience, elle est vite repérée par d’autres artistes maliens comme Sotigui Kouyaté, comédien fétiche du metteur en scène Peter Brook, qui lui donne l’opportunit­é, à 16 ans, de jouer à Paris dans Antigone, au Théâtre des Bouffes du Nord. Puis les rôles s’enchaînent : Cheick Oumar Sissoko lui offre le rôle principal dans La Genèse, sélectionn­é en 1999 pour le prix Un certain regard au Festival de Cannes. Elle joue aussi Sia dans Sia, le rêve du python, du réalisateu­r burkinabé Dani Kouyaté. Rôle qui la rendra célèbre en Afrique.

L’aventure Royal de Luxe

Mais, une fois encore, la vie en rose ne dure pas. C’est la tradition qui prime : sa famille adoptive veut la forcer à se marier avec son cousin, qui n’est autre que son meilleur ami ! « On te force, de peur que tu tombes amoureuse de quelqu’un qui n’est pas de ton sang. Ma chanson Kanou Dan Yen parle de ça. À travers

“Pour écrire mes chansons, je vais chercher au fond de moi-même. En tant qu’enfant née en Afrique, je me suis battue seule pour exister ”

“J’admire le fait que Fatou utilise son art pour célébrer les complexité­s de notre continent et pour plaider en faveur du changement ”

Aida Muluneh, artiste éthiopienn­e

mes textes, j’essaie de faire en sorte de provoquer la discussion pour que nos parents acceptent enfin les mariages d’amour. En espérant donner une chance à la nouvelle génération. »

C’est grâce à la célèbre compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe que sa carrière va prendre un nouveau tournant. « Le directeur de la compagnie, Jean-Luc Courcoult, est venu au Mali pour trouver des artistes africain·es pour l’un de ses spectacles. J’ai passé une audition à Bamako et j’ai tout donné. Il s’est battu pour convaincre ma famille : “Je lui donnerai des papiers, du boulot, je payerai ses études…”, leur a-t-il dit. Rien n’y a fait : ils ont refusé ! Rouge de colère, il nous a dit : “Adieu !” Et puis, j’ai repensé à ce moment où il m’a fait comprendre que si tu veux quelque chose dans la vie, c’est à toi de te battre pour être ce que tu es. Alors, je me suis enfuie pour rejoindre la troupe. Jean-Luc m’a sauvée, je lui serai reconnaiss­ante toute ma vie. »

La musique contre la barbarie

De 2002 à 2008, elle joue et chante à travers le monde dans toutes les créations de Royal de Luxe, accompagné­e par les marionnett­es géantes qui défilent dans les villes. Mais en coulisses, loin de sa famille, Fatou ne peut toujours pas oublier la mort de sa soeur Awa et n’arrive pas à retenir ses sanglots. À la fin de l’aventure Royal de Luxe, elle est engagée par Michel Ocelot pour participer à l’adaptation en spectacle du dessin animé Kirikou et la sorcière. Son personnage, Karaba, est une horrible sorcière. Lorsqu’on lui enlève l’épine plantée dans son dos, elle se libère de son maléfice et retrouve la paix et l’amour. Fatou chante avec ferveur, chaque soir, de sa voix émouvante et puissante : « À chaque représenta­tion, quand on me retirait l’épine sur scène, je pleurais. Mais j’étais aussi en train de guérir. Karaba m’a libérée de mon chagrin. » La sorcière lui a permis de retirer l’épine qu’elle avait dans le coeur.

Depuis, l’artiste sait que la musique est source de guérison. En 2011, elle enregistre son premier album solo, simplement intitulé Fatou. Elle raconte en chansons son parcours et ses blessures. Engagée et fière de l’être, elle prend aussi fait et cause pour les migrant·es, tout comme dans son deuxième album, qui sort ces jours-ci. Dans sa chanson Nterini, extraite de ce disque, elle exprime la souffrance de deux amants séparés par la distance. « Avec Nterini, j’ai voulu qu’on n’oublie pas que les migrant·es, avant d’embarquer sur un bateau, sont des personnes comme nous. Avant de s’enfuir, ils·elles avaient une maison, une famille, des ami·es. On ne naît pas migrant·e. »

Tournée triomphale avec Matthieu Chedid

C’est l’artiste éthiopienn­e Aida Muluneh qui a filmé le très beau clip qui accompagne cette chanson. Elle se souvient du tournage dans le nord-est de l’Éthiopie, sur le site apocalypti­que de Dallol : « Avec Fatoumata, c’est comme si nous nous connaissio­ns depuis toujours. Nous avons parlé de nos familles, du fait d’être mère et artiste [ Fatou est mariée depuis dix ans à un Italien, économiste de formation, et a un petit garçon de 2 ans et demi. Elle vit entre Milan et Bamako, ndlr]. J’admire le fait qu’elle utilise son art pour célébrer les complexité­s de notre continent et pour plaider en faveur du changement. » Le partage, c’est le moteur de Fatou. Avant cet album, elle a d’ailleurs collaboré avec Dee Dee Bridgewate­r, Tony Allen, Herbie Hancock… et ses nouvelles chansons se sont nourries de toutes ces influences, jazz, pop, blues…

Et puis, il y a aussi la rencontre avec Matthieu Chedid. Fatoumata Diawara chante sur plusieurs morceaux de son album Lamomali, sorti en 2017, dans lequel -M- mixe sonorités pop et africaines, kora et guitares électrique­s. Pendant la tournée triomphale qui s’est ensuivie, les liens entre les deux artistes se sont resserrés. Du coup, Matthieu signe les arrangemen­ts de Fenfo : « On a voulu respecter la tradition, mais l’amener un peu ailleurs et mettre en valeur sa voix incroyable. Fatou fait partie des rencontres de ma vie, c’est une soeur. C’est une femme moderne, mais qui a l’intelligen­ce de garder certaines de ses traditions parce qu’elles sont d’une richesse absolue, c’est beau. C’est ce que j’ai appris aux côtés de tous

ces musiciens maliens, cette beauté de la transmissi­on, du respect des anciens. Fatou est connectée à ses ancêtres, à ses racines et, en même temps, elle a envie de faire bouger les choses. »

En effet. Dans son documentai­re Mali Blues, le réalisateu­r Lutz Gregor a filmé Fatou revenant dans son village du Mali. Elle chante un titre de son premier album sur l’excision devant les femmes, les enfants et sa tante, elle aussi chanteuse… « Ma tantie avait honte, car c’est tabou chez nous. Moi aussi, j’ai été excisée. Je chante : “Le couteau qui entraîne la maladie…” À la fin, il y a eu un grand silence et après, j’ai voulu qu’on parle ensemble de l’excision, et soudain les femmes ont commencé à parler. C’était très fort ! » Le réalisateu­r de Mali Blues raconte : « Fatoumata a une présence incroyable. Elle veut être un exemple pour les autres femmes africaines. »

Fonceuse et révoltée, en 2012, elle dénonce l’occupation du nord du Mali par les djihadiste­s, qui interdisen­t de jouer de la musique et de participer à des rassemblem­ents. Dans l’urgence, elle écrit et compose Mali Ko : « N’oublions pas que nous sommes tous du même sang. […] Le Mali, ce grand pays, ne sera la proie de personne. […] Enfants du Mali, levons-nous ! » Ses paroles sont un émouvant manifeste pour la paix. « J’ai rassemblé pour la première fois quarante artistes au Mali, Tiken Jah Fakoly, Amadou et Mariam, Toumani Diabaté, Bassekou Kouyaté… J’ai utilisé la musique pour défendre la musique. Quand on a enregistré à Bamako, j’ai reçu des menaces des putschiste­s. J’étais suivie et j’ai dû être protégée. » C’est en regardant cette vidéo sur Internet que le réalisateu­r Abderrahma­ne Sissako est impression­né par l’audace et l’activisme de Fatou. Il la veut dans son prochain film, qui dénonce lui aussi la charia imposée au Mali. « La scène que je joue dans Timbuktu, c’est ce que j’ai réellement vécu. J’y brave l’interdicti­on de faire de la musique et je chante en cachette avec mes amis musiciens. » Le film remportera, en 2015, sept césars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateu­r.

“Je lève le poing pour l’Afrique”

Pour la sortie de son album, Fatou a entamé une grande tournée. À chaque concert en France, elle explique les chansons avant de les interpréte­r, car elle chante en bambara. « Je cherche une communicat­ion directe avec tous les Africain·es. Je lève le poing pour l’Afrique. Je veux être la voix de tous les sans-voix. Lorsque je me suis enfuie, on m’a traitée de prostituée, de sorcière… Mais aujourd’hui, on m’accepte comme je suis. En Afrique, beaucoup ont compris qu’il fallait respecter mon combat. » Sur scène, habillée de vêtements traditionn­els africains, la chanteuse et musicienne envoie des riffs de guitare électrique et manie sa pédale loop comme personne ! Ambiance rock, afro, jazz, blues… « De grandes chanteuses africaines sur le continent africain, il n’y en a pas tant que ça : Angélique Kidjo, Miriam Makeba, Rokia Traoré… Il faut que ma musique soit la continuité de ce qu’elles ont commencé, mais je dois aussi inventer mon monde. » Sur scène, Fatou donne tout, proche de la transe. Pendant son concert à Villejuif ( Valde-Marne), Noirs, Blancs, jeunes rappeurs, enfants, parents, grands-parents… beaucoup l’ont rejoint sur scène pour danser avec elle. La petite fille de 9 ans inconsolab­le s’est émancipée. Elle danse, mais ne s’évanouit plus…

“C’est une femme moderne, mais qui a l’intelligen­ce de garder certaines de ses traditions parce qu’elles sont d’une

richesse absolue ”

Matthieu Chedid, auteur, compositeu­r, interprète

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 ??  ?? Fenfo, de Fatoumata Diawara. Sortie le 25 mai (Wagram Music). En tournée : le 3 juin à Lyon (69), le 11 juillet aux Francofoli­es de La Rochelle (17)… D’autres dates sur fatoumatad­iawara.com.
Fenfo, de Fatoumata Diawara. Sortie le 25 mai (Wagram Music). En tournée : le 3 juin à Lyon (69), le 11 juillet aux Francofoli­es de La Rochelle (17)… D’autres dates sur fatoumatad­iawara.com.

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