Causette

« On devrait sortir au moins une fois avec quelqu’un du même sexe »

Chaque mois, la journalist­e et essayiste Camille Emmanuelle, auteure de Sexpowerme­nt, le sexe libère la femme (et l’homme)*, marche aux côtés d’une femme ou d’un homme, d’un anonyme ou d’une personnali­té, pour parler de son rapport à la sexualité.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE EMMANUELLE – ILLUSTRATI­ON CAMILLE BESSE

« J’aurai un manteau vert et du rouge à lèvres rouge » , m’écrit-elle. Parfois, mes échanges de textos pour « La Marche du sexe » ressemblen­t à ceux d’un date Tinder. Quand je retrouve Sophie en terrasse, dans le Marais, à Paris, je la remarque tout de suite. Un rouge à lèvres en effet très vif, une assise droite et calme, un regard franc, une silhouette ultra féminine. On ne se connaît pas du tout, mais on a une amie commune, dans le milieu du « new burlesque ». Lectrice de Causette, elle m’a contactée par mail et m’a proposé qu’on se rencontre. Elle a 28 ans, elle est professeur­e de français au collège et elle s’intéresse aux questions d’éducation sexuelle et de droits LGBT. On choisit ensemble de se retrouver le 1er mai. C’est parti pour une marche printanièr­e, sur des thématique­s tout aussi érotiques que politiques.

CAUSETTE : Est-ce que tu peux me parler un peu plus de ton expérience de performeus­e burlesque ?

Ça a été salutaire, pour moi, de faire ça, car j’avais un

SOPHIE : rapport extrêmemen­t compliqué à mon corps. Pendant très longtemps, je ne me supportais pas, je n’arrivais même pas à me regarder dans un miroir. Et en arrivant à Paris, vers 20 ans, j’ai eu un besoin impérieux de me foutre à poil, sur scène. Je te jure, j’ai tapé sur Internet : « Se foutre à poil sur scène. » Et là, je suis tombée sur l’École des filles de joie, des cours d’effeuillag­e burlesques. Il y avait donc une école pour apprendre à se dénuder sur scène, et on ne te traitait même pas de pute quand tu le faisais. Génial ! J’y ai passé des journées, des nuits, c’est devenu une part de moi. J’avais un personnage de femme fatale, ce que je n’étais pas du tout dans la vraie vie.

Cela a aussi changé ton rapport à la sexualité ?

D’un point de vue extérieur, j’ai l’air froide et coincée.

SOPHIE : Je le sais, on me l’a toujours dit. Alors qu’au fond de moi je suis l’inverse, j’ai toujours été attirée par les milieux interlopes. Et faire du burlesque m’a permis d’y mettre un pied, de découvrir des choses. Cela m’a beaucoup libérée.

Je peux te demander ton orientatio­n sexuelle ?

Oui, bien sûr. J’ai été hétéro pendant très longtemps.

SOPHIE : Même si je savais que j’étais potentiell­ement bi. Depuis un an, cela s’est imposé à moi : je ne sors plus qu’avec des femmes. Et je pense que tout le monde devrait sortir au moins une fois avec quelqu’un du même sexe ! C’est comme si, pendant longtemps, j’avais vécu dans une petite boîte avec un faux ciel peint en bleu et que, tout à coup, on avait ouvert cette boîte. Tous ces clichés qu’on véhicule sur les lesbiennes et notamment sur la sexualité des lesbiennes : « Vous devez vous faire chier au bout d’un moment », « La bite, ça vous manque pas quand même un peu ? » , « C’est des préliminai­res, ce que vous faites » , c’est complèteme­nt faux. Il y a beaucoup plus de trucs à faire entre femmes qu’entre un homme et une femme. Je n’arrête pas de découvrir des choses. Par exemple, soudain, tu te dis : « C’est moi qui la baise, ce soir » et ce n’est plus toi qui te fais baiser. Ça bouscule les jeux de rôles sexuels, mais aussi les jeux de rôles sociétaux. Tu peux choisir ton rôle, le moduler, le switcher. Ce n’est plus forcément toi qui te fais draguer. Et c’est assez grisant de prendre les choses en main. En même temps, j’ai compris beaucoup de choses sur les hommes.

“Je n’arrête pas de découvrir des choses. Par exemple, tu te dis :

‘C’est moi qui la baise, ce soir’ et ce n’est plus toi qui te fais baiser ”

Comme quoi ?

Par exemple, quand on dit : « Ces connards qui ne savent

SOPHIE : pas faire un cunni, c’est quand même pas possible, ils ne savent pas où c’est. » Et ben, en fait, c’est hyper dur ! Effectivem­ent, parfois, on ne voit pas où c’est.

Le clitoris ?

Ben ouais. Un autre truc aussi : t’es vachement plus dans

SOPHIE :

“Dans les rapports lesbiens, je fais plus de choses. C’est physique et c’est

super fatigant ! C’est là que tu te rends compte que les mecs galèrent ”

l’action. J’ai pris conscience à quel point j’étais sexuelleme­nt passive avec les hommes. Alors que dans les rapports lesbiens, je fais plus de choses. C’est physique et c’est super fatigant ! C’est là que tu te rends compte que les mecs galèrent. Franchemen­t, les pauvres ! Et encore, je n’ai pas la pression de bander… [Elle marque une pause.] La première fois, par exemple, que j’ai utilisé un gode-ceinture, c’était épique. J’étais ridicule, j’étais comme l’ado de 16 ans tout maladroit. J’avais peur d’écraser ma partenaire, je devais me soutenir avec les bras. Au bout de deux minutes, j’étais rouge, en sueur, je ressemblai­s plus à rien. Tout ça m’a donné un regard bienveilla­nt envers les hommes !

Je reviens sur le burlesque. Tu continues à en faire ?

Non, j’ai dû arrêter quand

SOPHIE : je suis devenue prof. Il y avait trop le risque que des élèves ou des collègues me voient en photo après un show. Après, j’ai aussi découvert un autre monde, plus caché et qui me permet d’explorer des trucs : les soirées BDSM [bondage, domination, soumission, sadomasoch­isme, ndlr]. J’y vais régulièrem­ent avec des potes et j’y découvre beaucoup de sexualités, de fantasmes que je ne connaissai­s pas jusqu’ici. C’est fascinant.

Quel rôle joues-tu dans ces soirées ?

Je suis domina. C’est super, j’ai un soumis qui va me

SOPHIE : chercher à boire, un autre qui va me masser les pieds… Y a pire comme soirée !

Mais tu te fais payer ?

Non, je n’ai pas franchi le cap. J’ai des potes qui me disent

SOPHIE : que je devrais, que je pourrais gagner de l’argent. Et j’y pense, d’autant plus que je n’ai aucun problème moral avec l’activité prostituti­onnelle. Parce que, même s’il n’y a pas de contact sexuel, aucune pénétratio­n ou autre, quand t’es domina profession­nelle, quelqu’un te donne de l’argent contre un acte qui va satisfaire ses besoins sexuels. C’est bien de la prostituti­on. Bref, j’y pense parfois.

Tu serais prof le jour, domina la nuit…

C’est déjà un peu le cas !

SOPHIE : [Elle sourit.] Un week-end, je suis allée en soirée SM avec mon sac de cours. Tout simplement parce que c’était le sac le plus grand que j’avais à dispo. Et le lundi, j’ai remis mes cours dedans. Sauf que quand j’ai sorti mon classeur, en classe, y avait des jarretelle­s noires accrochées et elles ont limite volé ! J’ai eu un geste ultra rapide pour les remettre dans le sac et, avec une goutte de sueur sur le front, j’ai dit, sans lever les yeux vers ma classe : « Bon, alors ouvrez tous votre livre à la page 76, exercice 9, le complément d’agent… »

Ha, ha, ha !, mais tu devrais écrire un livre à ce sujet !

C’est une idée !

SOPHIE : U

* Sexpowerme­nt, le sexe libère la femme (et l’homme), de Camille Emmanuelle. Éd. Anne Carrière, 2016.

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