Les consultations du Dr Macron
Pierre Mendès France a séduit les Français en leur parlant à la radio et en distribuant du lait aux écoliers. De Gaulle a rassuré les foules pro ou anti « Algérie française » avec son fameux « Je vous ai compris » . À son tour, Emmanuel Macron a trouvé un truc extra qui fait crac boum hu pour que les Français tombent à ses genoux : les « consultations citoyennes ».
Depuis un an, le gouvernement ainsi que le parti La République en marche ont lancé pas moins de sept consultations citoyennes sur des thèmes aussi variés que le harcèlement sexuel, les inégalités sociales, l’Europe ou les retraites. L’idée : encourager les Français à se rassembler pour passer des heures et des heures à discuter, refaire le monde, le défaire, en s’emparant d’un de ces thèmes. C’est tout pareil que Nuit debout, sauf que cela ne se passe pas dans la rue, mais lors d’ateliers, dans une salle, un café ou assis derrière son ordinateur. Ces consultations se déroulent sur quelques mois et sont parfois organisées par la société civile (associations, think tanks…). Au final, chacune d’entre elles donne lieu à un travail de synthèse dont les organisateurs ne savent parfois pas eux-mêmes qui va l’analyser et à quoi elle servira.
Ces consultations sont donc surtout un outil de marketing politique, genre écran de fumée, donnant l’illusion au citoyen qu’il va pouvoir nourrir le débat et y participer avant que les ministres et les élus légifèrent. Telle celle qui a porté sur les violences sexuelles à l’automne dernier, par exemple. Lors des ateliers, chapotés par le secrétariat d’État à l’Égalité, la demande qu’il existe dans le droit français un âge minimum de consentement sexuel est revenue dans les échanges. Pour autant, lorsqu’il s’est agi de proposer un texte de loi fin mars, finies les discussions, oublié le bel élan de dialogue : la société civile n’avait plus voix au chapitre, la realpolitik avait repris la main, débouchant sur l’adoption d’une loi qui, ne fixant pas en tant que tel un âge minimum, ne satisfait personne.
Autre exemple plutôt parlant : en janvier, Emmanuel Macron évoque l’organisation d’une « convention citoyenne sur l’Europe » . Génial ! Qui dit « convention » dit constitution de jurys populaires tirés au sort. Un échantillon de Français représentatifs dont l’avis devra être pris en compte. Problème, cela implique d’aller jusqu’au bout de la logique. Si ces citoyens se mettent à vouloir interdire l’emploi du nucléaire ou celui des pesticides, il faudra les entendre, défendre des changements allant dans ce sens. Un pari risqué, qu’Emmanuel Macron a habilement esquivé en remplaçant fissa ladite « convention citoyenne » par « consultation citoyenne ». Si jusqu’en octobre le président en personne va bel et bien répondre aux questions de 350 citoyens préinscrits, cette consultation sur l’Europe ne l’engage en rien.
Dommage, car une convention menée à bien peut faire des miracles. Regardez, tout récemment, en Irlande. Avant de soumettre la population à un référendum sur la légalisation de l’avortement, le gouvernement irlandais a organisé avec elle des auditions, des comités, des assemblées générales qui ont fait des propositions détaillées. Propositions dont les parlementaires se sont emparés pour travailler sur une loi qui fasse consensus, mettant ainsi fin à l’interdiction d’avorter dans un pays pourtant très catholique. « En France, déplore Yves Sintomer, professeur de sciences politiques, spécialiste des questions de démocratie participative, il n’y a pas un vrai pouvoir de codécision donné aux citoyens. On fait du bricolage… pour l’affichage. » Beaucoup de fumée pour rien, donc.