Causette

Quand l’amer monte

- PAR CATHY YERLE

À la seule évocation des vacances d’été réapparais­sent mes anxiétés nocturnes, ma boule au ventre et, sur mon coude gauche, une plaque de psoriasis. La peur de l’échec, me dit ma copine Juju, spécialist­e des vacances idylliques. À peine le sapin et les boules au placard, je me lance donc dans la recherche du lieu idéal qui fera de notre été familial une réussite. Après avoir expériment­é sans trop de succès les plages bondées, la montagne escarpée et le camping à la ferme, cette année, c’est sur une petite île de l’Atlantique, réputée pour ses criques romantique­s, ses pistes cyclables bucoliques et ses éclaircies épisodique­s que je me transforme en monitrice de colonie de vacances devant mon compagnon et mes fistons médusés par tant d’énergie.

Nous créchons dans le camping municipal, trésor de tranquilli­té, car pas de Wi-Fi, de piscine, de discothèqu­e, ni de club Mickey. Un confort authentiqu­e dans un cadre verdoyant. Sûrement à cause de cette pluie quotidienn­e qui me surprend toujours à mon tour de vaisselle quand je rejoins le bloc sanitaire où j’attends patiemment, la bassine à la main, que le ciel finisse de tomber en écoutant les autres faire leurs besoins.

Dès que l’éclaircie pointe son rayon, je déborde d’idées. Les garçons sont invités à sortir de leur tente, à détacher leurs yeux de la Game Boy le temps d’une activité qui les éveillera à la nature et au monde qui les entoure. Aujourd’hui, c’est partie de pêche aux moules. Mais de l’énervante chanson qui trotte dans ma tête, c’est plutôt « je n’veux plus y aller Maman » qu’ont retenu les fistons.

Arrivés dans la jolie crique, ils se réfugient sur leurs serviettes comme deux bulots dans leurs coquilles et Chéri, mon amour, décide de plonger. Dans son polar. Il soulève un sourcil ombrageux quand je l’incite, toute de Bikini vêtue, à m’accompagne­r pêcher la moule plus loin dans les rochers, mais c’est le vieux flic suédois de son bouquin qui l’excite. Je me lance donc dépitée, avec mon seau et mon couteau, sifflotant le vieux tube lancinant. Je racle les rochers pour récolter notre repas du soir tout en ruminant que les garçons ont déjà refusé les cours de voile, la visite du bunker sur la falaise, la soirée cinéma sur la place du village et que, pour Chéri, le climat est trop humide, la selle du vélo trop dure et le matelas pneumatiqu­e trop mou. Et cette satanée moule qui refuse de se décrocher commence à me pomper l’air marin. C’est quand même pas un mollusque qui va me résister. Alors je gratte. Tape. Chante. Fort. « Les gens de la ville ville ville... » Et quand elle n’est plus que bouillie, je passe à sa voisine avec mon petit couteau en scandant à tue-tête : « M’ont pris mon panier, Maman... »

Je ne me souviens plus si c’est en pensant aux maillots qui ne sèchent pas ou à l’odeur de moisi de nos K-Way que mon couteau a ripé en m’entaillant la main, mais je revois parfaiteme­nt la tête horrifiée de la vieille dame qui me demande, inquiète, si elle peut prévenir quelqu’un. C’est là que j’ai hurlé en m’essuyant les larmes avec ma main sanguinole­nte, éructant que j’étais aussi seule qu’un bernardl’ermite, que j’avais bien deux bulots et une grande perche sur les serviettes là-bas, mais que c’était la dernière fois que je les emmenais en colo. En vacances. Que l’année prochaine, je partirai seule avec mes copines en camp naturiste, comme ça, même mon maillot n’aurait pas à sécher.

Et que si elle pouvait aller leur annoncer, ça m’arrangerai­t parce que moi, j’avais bien envie de rester un peu là pour souffler et demander pardon aux moules de les avoir massacrées.

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