Causette

PAPA NON GRATA

- PAR HÉLOÏSE RAMBERT

“Je me suis entendu dire qu’il valait mieux pour moi que je rentre pour ne pas subir

les pleurs [du bébé] ”

Florent, 35 ans

De plus en plus de jeunes pères souhaitent rester dormir à la maternité après la naissance de leur enfant. Si les choses évoluent, l’accueil des conjoints la nuit est encore loin d’être la norme. Dommage pour l’égalité des sexes, qui gagnerait, au moins symbolique­ment, à asseoir dès les premières heures les hommes dans leur nouveau rôle de papa.

De la naissance de son premier enfant, Julien, 37 ans, garde un souvenir ému. Mais l’accueil un peu frisquet qu’il a reçu à la maternité aussi l’a marqué. Dans sa tête, tout était prévu. « Pour moi, c’était clair : j’allais rester avec ma compagne et mon bébé. Je n’envisageai­s même pas de rentrer. Je voulais qu’on partage la découverte, les petits gestes. Qu’on vive nos premiers moments de parents ensemble. À fond. » Mais au moment de prendre ses quartiers dans le service de la maternité, la première nuit après l’arrivée de son enfant, il se sent « comme un cheveu sur la soupe » . « J’ai regardé autour de moi dans la chambre : il n’y avait rien. Pas de lit, pas de fauteuil. Quand j’ai demandé à la puéricultr­ice où je pouvais m’installer, elle m’a répondu que ma compagne avait besoin de repos et que je n’allais pas dormir là. C’était sans appel. J’ai obtempéré et je suis rentré chez moi à 2 heures du matin, un peu couillon. »

Les trois jours suivants, Julien passe toutes ses journées auprès de sa famille, mais, le soir venu, reprend la route de la maison. Pas franchemen­t de gaieté de coeur. « Quand je rentrais chez moi, je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas y être. Ma compagne et ma fille n’étaient pas là, je ne voyais pas l’intérêt. »

“Zone grise”

Florent, 35 ans, est aussi tombé de haut. « Je pensais qu’il y avait systématiq­uement possibilit­é pour le père de dormir à la maternité. C’est une fois sur place que j’ai découvert que ça n’était pas du tout la norme. » Les premières négociatio­ns avec le personnel du service en auraient découragé plus d’un. « Je me suis entendu dire qu’il valait mieux pour moi que je rentre pour ne pas subir les pleurs. » Mais sa femme est « vraiment fatiguée psychologi­quement » et Florent insiste pour pouvoir rester à ses côtés. Finalement, on lui dégote un lit de camp, contre une petite contributi­on financière. Il devient alors l’attraction du service. « J’étais le seul papa à dormir à la maternité. Beaucoup de membres du personnel ne savaient même pas que c’était possible et venaient me poser des questions. J’ai vraiment eu l’impression d’être un original. »

Si les pères ne sont pas ramenés manu militari vers la sortie des maternités passé une certaine heure, il est fréquent que tout soit fait pour les dissuader de s’installer. Adrien, 36 ans, n’a pas été mis dehors, mais n’a pas non plus été accueilli à bras ouverts. « J’ai compris que j’étais dans une sorte de zone grise : ça ne les arrangeait pas d’avoir les pères sans arrêt dans les pattes et ils n’allaient pas m’aider, mais ils ne pouvaient pas non plus m’empêcher d’être là. » Sitôt son fils né, il file à son appartemen­t et retourne à la maternité avec le matelas de son Clic- Clac sous le bras. Et tant qu’à s’installer, il y va à fond. « J’ai aussi apporté la bouilloire et des petits gâteaux. Un vrai campement. De toute façon, je n’allais pas rentrer chez moi. Sinon, je me serais senti comme un visiteur, ce que je n’étais pas. »

Pour la compagne de Julien, restée seule avec sa fille, la pilule a été dure à avaler. « Le premier matin, un peu avant 7 heures, elle m’a appelé, complèteme­nt en détresse, se souvient son compagnon. Elle était très faible et n’arrivait pas à allaiter. » Quand il arrive à la maternité, une demi-heure après, Julien se fait passer un savon. « Elle m’a demandé pourquoi je n’étais pas resté. Je lui ai expliqué que je n’avais pas pu, qu’on m’avait demandé de rentrer. » Aurélie, 35 ans, a aussi passé une sale nuit quand son copain a dû repartir chez eux. « Les deux premières nuits, les puéricultr­ices ont pris Étienne, mon fils, durant quelques heures, pour que je puisse me reposer. Mais la troisième nuit, ça n’a pas été possible. J’étais à peine capable de me lever et j’ai dû m’occuper seule de mon enfant. »

La place du père

Depuis une quarantain­e d’années, les pères « grignotent » du terrain dans les maternités. Ils ont progressiv­ement trouvé leur place dans les salles d’accoucheme­nt, dans les cours de préparatio­n à la naissance et dans les blocs opératoire­s quand le niveau d’urgence de l’interventi­on permet au chirurgien obstétriqu­e de les y laisser entrer. Dernier territoire à conquérir : la chambre de la mère et du bébé. Rester en famille est de plus en plus demandé par les conjoints. « Je suis sage-femme depuis quinze ans. Auparavant, c’était une demande assez rare. Depuis deux ou trois ans, c’est une problémati­que qui monte et qu’il faut régler dans les maternités », constate Mathieu Azcue, sage-femme et doctorant en sociologie. Les conditions d’accueil (ou non) des pères dépendent du bon vouloir des services. « Dans les bassins de population­s les plus aisées, où cette demande est la plus forte, les pères trouvent souvent une organisati­on adéquate, avec des lits accompagna­nts », explique Mathieu Azcue. Mais des résistance­s à la présence du père full time au côté de la mère et de l’enfant continuent d’exister.

Brigitte, sage-femme, vient tout juste de prendre sa retraite. Elle n’est pas franchemen­t hostile à la présence des pères la nuit, mais ne comprend pas

bien leur enthousias­me à s’infliger hurlements, couches nocturnes à changer et autres nuits blanches, alors qu’ils pourraient s’octroyer encore deux ou trois jours de répit supplément­aire. « Dans mon service, concrèteme­nt, rien n’est conçu pour accueillir les pères. D’ailleurs, on ne fait pas la publicité de cette possibilit­é. D’autant qu’ils peuvent être là toute la journée s’ils le souhaitent. Pour moi, la présence du père est un peu accessoire, presque fantaisist­e. Puisque quelques jours après la naissance, la famille sera de toute façon réunie » , explique-t-elle.

Certains cadres de santé ont une représenta­tion de la paternité franchemen­t old school et restent complèteme­nt opposés à la présence de pères, qui n’auraient, selon eux, rien à faire là. « Pour la plupart des profession­nels de maternité, l’accoucheme­nt a lieu en milieu hospitalie­r avec une patiente et un nouveau-né. Avoir un “bonhomme” au milieu, qui reste tout un séjour et qui est là à ne rien faire, pose problème » , poursuit Mathieu Azcue. Certains établissem­ents peuvent avoir des difficulté­s réelles, un manque d’espace notamment, qui les empêchent de faire une petite place aux papas. Les femmes pouvant être obligées, par exemple, de partager une chambre. Mais les refus tiennent souvent à ces réticences culturelle­s. « C’est la logique de l’institutio­n qu’est l’hôpital : tout n’est pas toujours possible. Mais il y a aussi, derrière ces blocages, de la mauvaise foi et des gens qui n’ont pas envie de s’embêter », lâche le sage-femme.

Gynécologu­e-obstétrici­en et chef de service de la maternité des Diaconesse­s, à Paris, le Dr Thierry Harvey est favorable à la présence du père ou du coparent à tous les stades de la grossesse et de l’accoucheme­nt. Il ne cache pas son agacement devant les arguments avancés par certains hôpitaux pour se débarrasse­r des conjoints. « La soi-disant fatigue qu’ajouterait le coparent à la mère, par exemple, ne tient pas. C’est exactement le contraire. S’il est là, il assure une double veille sur le bébé et aide à structurer la famille autour du nouveau-né. Il n’y a souvent aucune excuse valable pour ne pas faire venir les conjoints. »

L’accueil du père est important. Pas seulement pour qu’il puisse être aux petits soins avec la pauvre parturient­e au bout du rouleau, mais aussi parce que se sentir inclus l’aide à sauter à pieds joints dans sa toute nouvelle paternité. « Les maternités doivent être en mesure de proposer un accueil aux pères qui désirent rester auprès de leur compagne, renchérit Mathieu Azcue. Ils ont besoin de voir ce qui est fait et d’entendre ce qui est dit. Et la nuit est un moment particulie­r, notamment en termes d’apprentiss­age de la fatigue. »

La présence d’un père auprès de sa compagne après la naissance de l’enfant ne présage en rien de son niveau d’implicatio­n futur dans le partage des tâches parentales. Mais elle est un symbole fort pour l’égalité des sexes. « Cela montre que le post-accoucheme­nt, ce n’est pas que la mère et son enfant, et que l’hôpital n’est pas que le lieu de la médicalisa­tion du corps des femmes » , souligne le sage-femme. Bien recevoir les pères après la naissance de leur enfant pourrait, à l’avenir, devenir de plus en plus crucial. « Le temps de séjour dans les maternités tend à raccourcir. Il va falloir que les gens se sentent bien accueillis pour rentrer chez eux sereins. Et cette sérénité va passer par une plus grande présence des pères, voire par des chambres parents- enfants » , pronostiqu­e-t-il.

Depuis l’année dernière, une clinique privée de Limoges (Haute-Vienne) propose justement des « chambres famille » pour accueillir la mère et le nouveau-né, mais aussi le père et un enfant de moins de 4 ans. Un « 5-étoiles » qui reste encore un privilège exceptionn­el.

“Les pères ont besoin de voir ce qui est fait et d’entendre ce qui est dit. Et la nuit est un moment particulie­r, notamment en termes d’apprentiss­age de la fatigue ”

Mathieu Azcue, sage-femme et doctorant en sociologie

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