Causette

“La seule source de souffrance que j’ai eue, c’est l’homophobie de la société française”

Anne-Lise, 23 ans, fille de Yolène et Chantal (Paris)

- A. B.

« Mes parents se sont rencontrée­s il y a trente et un ans. Ma petite soeur et moi avons toutes les deux été conçues par inséminati­on artificiel­le à l’hôpital Érasme, à Bruxelles. On l’a toujours su, nos mères nous ont toujours expliqué les choses, ce n’était pas du tout un tabou.

Petite, cela ne m’a jamais posé de problème, car les autres enfants s’adaptent très vite. À l’école, tout le monde savait que j’avais deux mamans, et les autres étaient même plutôt jaloux. C’est après que c’est devenu plus compliqué. Surtout au collège, quand je me suis retrouvée avec des gens que je ne connaissai­s pas, dans un établissem­ent catholique. Je me sentais différente et, surtout, je sentais, à travers plein de petits détails – notamment les formulaire­s de rentrée – que la différence n’était même pas envisagée. Ce n’est pas une discrimina­tion frontale, c’est juste qu’on nous dit : “Vous n’existez pas.” Ça demande un courage double de dire : “Je suis là et je suis différente”, d’autant que, quand j’avais 10 ans, la PMA, personne ne savait ce que c’était. Pendant longtemps, j’ai eu la stratégie de ne pas le dire, ou de sélectionn­er drastiquem­ent les amis à qui j’en parlais. Ma soeur, elle, a eu une technique un peu différente : elle le disait ouvertemen­t, et tant pis pour ceux que ça embêtait ! Chacune a fait comme elle pouvait.

Ce qui m’a amenée à changer, c’est la Manif pour tous. J’ai très mal vécu cette période, c’était un enfer. Voir des gens qui manifesten­t, qui disent que nos parents ne peuvent pas se marier, que ce sont des pédophiles, qu’ils maltraiten­t les enfants… C’était très violent. Les médias en parlaient tout le temps, on voyait les affiches dans la rue… Impossible d’y échapper. Tout le monde y allait de son opinion, même mes amis, qui ne savaient pas forcément que j’étais concernée. Là, je me suis dit : soit je me cache sous la table, soit je dis les choses. Et j’ai dit les choses. Ce qui fait qu’avec certains, ça s’est arrêté là. Mais j’y ai aussi gagné une forme de liberté. Ça m’a politisée et ça m’a renforcée. Une nouvelle partie de ma vie a commencé à ce moment-là.

Sans le formuler explicitem­ent, j’ai longtemps ressenti le besoin de me rapprocher d’autres enfants comme moi. Parce qu’au fond, je crois que je me sentais un peu seule. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai recherché activement des contacts avec d’autres enfants dans ma situation. Au bout d’un an et demi, j’ai fini par rencontrer une fille de mon âge. Et la conclusion de notre rencontre, c’est qu’on avait ça en commun… mais c’est tout !

Finalement, ce qui a été le plus enrichissa­nt pour moi, c’est de rencontrer des jeunes homos de mon âge. À Sciences Po, j’ai rejoint l’associatio­n LGBT. Je suis hétérosexu­elle, et je me suis tout de suite présentée comme enfant d’une famille homosexuel­le. Et la grande découverte, c’est que les gens étaient très contents de me rencontrer, de me poser plein de questions. Ils avaient besoin de m’entendre raconter notre histoire. Ça a donné beaucoup de sens à ma vie et au rôle que je pouvais avoir. Et ce que je répète encore et encore, c’est que la seule source de souffrance que j’ai eue, c’est l’homophobie de la société française, pas du tout l’orientatio­n sexuelle de mes parents, qui m’aiment, qui ont voulu que je vienne au monde, et qui se sont battues pour ça.

Et quand je vois que mes copines lesbiennes ne peuvent toujours pas faire d’enfant en France… c’est assez intolérabl­e ! Je ressens vraiment un sentiment d’urgence.

Ma deuxième mère a pu nous adopter en 2017, quand mes parents se sont mariées. Être adoptée par son propre parent, c’est quand même un truc de fou à vivre ! Officielle­ment, je n’étais rien pour elle – ce qui veut dire que si jamais elle se retrouvait à l’hôpital, je n’étais pas censée avoir mon mot à dire. Il a donc fallu prouver que c’était bien notre maman. C’était complèteme­nt hallucinan­t. Et je suis contente que, dans le projet de loi actuel, il soit question d’une reconnaiss­ance automatiqu­e à la naissance de l’enfant. Autant l’anonymat du donneur, je m’en fiche, autant ça, ça me semble essentiel. Pour que d’autres enfants et d’autres mamans n’aient pas à passer par là. »

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