Causette

“J’ai beaucoup de mal à me positionne­r dans le débat sur l’ouverture de la PMA”

Charlotte, 44 ans, fille de Marie-Dominique et Élisabeth (Hauts-de-Seine)

- A. B.

« J’ai été conçue par inséminati­on artificiel­le, en France, et je suis née à Paris en 1974*. À l’époque, il n’était pas possible pour deux femmes d’adopter conjointem­ent, donc c’est ma mère biologique qui a effectué les démarches en qualité de mère célibatair­e.

Le fait d’avoir deux mamans ne m’a jamais vraiment préoccupée. En revanche, quand j’avais une petite dizaine d’années, je leur ai demandé pourquoi je n’avais pas de père. Elles m’ont expliqué que j’avais été conçue grâce à un don de sperme. Le fait que ce don soit anonyme a mis fin au processus de questionne­ment que j’aurais pu avoir : contrairem­ent aux gens qui ont perdu leur père, je ne me demandais pas qui il était ni pourquoi il avait disparu. D’ailleurs, je n’ai jamais parlé de mon “papa” – qui a une dimension affective –, mais de mon “géniteur”. Les choses étaient assez claires, et je n’ai jamais envisagé de retrouver cette personne.

Puis, il y a des questionne­ments qui viennent à l’adolescenc­e, à l’âge adulte, et qui m’ont rattrapée plusieurs années après, notamment quand j’ai perdu ma deuxième maman, il y a treize ans. Avoir recours à un donneur anonyme, c’est le choix de deux personnes qui s’aiment et c’est très beau, mais cet enfant-là se retrouve quand même coupé d’une partie de son histoire. C’est forcément la porte ouverte aux questionne­ments. Ne serait-ce que, si un jour j’ai une maladie particuliè­re qui se déclare, je ne pourrai pas savoir s’il y a des antécédent­s du côté de mon géniteur.

L’anonymat du donneur, c’est vraiment une question cruciale. Je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. Ce qui est compliqué, c’est qu’en levant l’anonymat, on prend le risque de générer un déséquilib­re affectif. Et puis les hommes qui ont donné ont souvent eux-mêmes une famille, certains n’en ont jamais parlé à leurs proches : que se passerait-il s’ils voyaient un beau jour rappliquer les enfants nés de leur don ? Je pense qu’on ne peut pas édicter une même règle pour tout le monde, et que cette décision doit être soumise au libre-choix et à l’envie des uns et des autres.

J’ai beaucoup de mal à me positionne­r dans le débat actuel concernant l’ouverture de la PMA : je ne suis pas contre, bien sûr, mais je n’irai pas jusqu’à militer. Moi-même, je me suis posé la question, il y a quelques années, parce que j’ai mis du temps à tomber enceinte. Et j’en ai conclu qu’il serait extrêmemen­t compliqué pour moi d’adopter, de faire porter mon enfant ou de recourir à un don de sperme, parce que je ne voudrais pas compliquer davantage les choses.

Il m’est arrivé d’en vouloir à mes parents. C’est là où il y a une ambivalenc­e : j’ai eu une enfance rêvée, j’ai été choyée et aimée, mais quelque part, mes mères n’ont pas vraiment anticipé le fait qu’en grandissan­t, j’aurais un jour des questions. Et puis, rétrospect­ivement, c’était quand même plus compliqué d’avoir deux mères, j’ai entendu des choses sur elles qui n’étaient pas forcément agréables. Ça ne venait jamais des enfants, à qui la situation n’a jamais posé de problème, mais d’adultes. Je me souviens, notamment, d’un prof au collège, qui s’est montré très insistant et qui m’avait demandé devant toute la classe ce qu’il s’était passé avec mon père, s’il était mort… J’avais 16 ans en 1990, donc ce n’était pas très répandu (ou alors ça ne se disait pas). À l’époque – et encore aujourd’hui –, il y avait un modèle père-mère et quand on déroge à ça, ça dérange. J’ai mis un peu de temps à l’assumer.

En même temps, je n’ai jamais vécu comme une anormalité d’avoir deux mères, d’autant que j’ai eu un schéma d’éducation assez classique. Le tout, ça a été de vivre avec ma propre histoire. Avec les bons côtés, et les zones d’ombres. Car il y a forcément une zone d’ombre, même si on peut très bien vivre avec. »

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