Causette

ILS SE NOIERONT DANS LES LARMES DE LEURS MÈRES

ATTENTAT LITTÉRAIRE

- L. M.

C’est un texte fort, qui marque le lecteur au fer rouge. Nous sommes en Suède, dans un futur proche. Le roman s’ouvre sur un attentat dans une librairie de Göteborg, raconté du point de vue de l’un des trois assaillant­s, une jeune femme. Le lecteur suit chacun de ses mouvements seconde après seconde, pourrait presque entendre son pouls. On dit que tout va très vite, mais c’est faux. La terroriste a le temps de voir la vie s’éloigner, les cervelles s’étaler parmi les jouets et les livres. Elle repense à son passé, elle qui se souvient à peine de son prénom, entend la phrase de sa mère : « L’histoire est un souvenir qui nous apparaît quand on fuit un danger de mort. » Quelques années plus tard, elle n’est pas morte. Et décide de raconter son histoire à un écrivain. Sa schizophré­nie est toujours là, ses souvenirs reviennent. Elle cherche à comprendre, depuis sa chambre d’hôpital psychiatri­que, qui elle est et comment elle en est venue à jurer allégeance à Daech. Elle sait qu’elle a grandi dans un camp où étaient envoyés les « anti-Suédois ». Les voix de la terroriste et du personnage de l’écrivain se mêlent, et la question se pose : écrire, est-ce devenir complice ? L’écrivain angolais et suédois Johannes Anyuru, récompensé par le prix August 2017 (l’équivalent du Goncourt) pour ce livre, a le courage de relever ce défi. Dans une langue à couper le souffle, une prose aussi nette et efficace que poétique, il chante sur les braises de nos peurs les plus paralysant­es. Et offre un roman majeur.

Ils se noieront dans les larmes de leurs mères, de Johannes Anyuru, traduit du suédois par Emmanuel Curtil. Éd. Actes Sud, 336 pages, 22 euros.

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