Causette

Laurence Rossignol vs Élisabeth Badinter : faut-il supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG ?

-

CAUSETTE : Vous portez une propositio­n de loi pour supprimer la clause de conscience des médecins spécifique à l’IVG. Pourquoi ?

Il existe, dans le Code

LAURENCE ROSSIGNOL : de déontologi­e médicale, une clause de conscience générale permettant à tout soignant de ne pas pratiquer un acte thérapeuti­que, quel qu’il soit [sauf urgence médicale, ndlr]. Nous pouvons donc aujourd’hui nous passer d’une clause supplément­aire, spécifique à l’IVG. Inscrite dans la loi Veil en 1975, elle résulte d’un compromis accordé aux personnes hostiles à l’IVG. Tout comme d’autres dispositio­ns : l’exigence d’une situation de détresse, le double entretien préalable, l’interdicti­on de l’IVG pour les mineures, ou encore le délai de réflexion obligatoir­e. Tous ces compromis accordés à l’époque ont été abrogés ou réformés au fur et à mesure. Il est temps de faire de même pour le dernier vestige des concession­s de la loi Veil : la clause de conscience. Quand la parole institutio­nnelle qui émane du président du syndicat des gynécos défend de manière aussi crue le point de vue des adversaire­s de l’IVG, alors que la loi est supposée garantir à toutes les femmes l’accès à l’IVG, la parole institutio­nnelle ne respecte pas la loi. D’autant qu’on sait bien que la clause de conscience est contagieus­e dans un service hospitalie­r.

Vous entendez par là que des médecins feraient du prosélytis­me anti-IVG auprès de leurs collègues ?

Bien sûr. Chaque service hospitalie­r

L. R. : a sa propre ambiance. Quand un chef de service est anti-IVG, il est difficile pour ses subordonné·es de pratiquer une IVG.

En mai 2015, le Défenseur des droits s’est dit favorable à la suppressio­n de cette clause spécifique. Pourquoi ne pas vous être emparée de la question lorsque, quelques mois après, vous avez été nommée ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes ?

Les relations entre la ministre de

L. R. : la Santé [Marisol Touraine] et les médecins étaient extrêmemen­t compliquée­s, comme chacun se le rappelle, en particulie­r sur la question du tiers payant. Mes collègues au gouverneme­nt étaient peu allants pour ouvrir un nouveau front avec eux. Aujourd’hui, je suis très surprise par l’argument avancé par la secrétaire d’État à l’Égalité [Marlène Schiappa] et par la ministre de la Santé [Agnès Buzyn] pour ne rien bouger : l’idée que la clause de conscience protège les femmes parce que, sinon, les médecins les maltraiter­aient. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça signifie qu’aujourd’hui les médecins sont en situation de menacer les femmes de maltraitan­ce ?

Pas besoin de menaces, les maltraitan­ces médicales existent bel et bien…

Bien sûr, mais de là à ce qu’on admette

L. R. : l’idée que la clause de conscience spécifique vise à prévenir les maltraitan­ces, je trouve que c’est un argument inacceptab­le. Quels sont ces médecins dont la conscience leur interdit de pratiquer un avortement, mais dont la conscience ne leur interdit pas, par contre, de menacer les femmes de maltraitan­ce ? Cela me rappelle l’époque où les femmes arrivaient dans les services hospitalie­rs après des avortement­s clandestin­s et où on pratiquait des expulsions du foetus sans anesthésie pour leur apprendre à ne pas recommence­r.

À quoi bon supprimer dans la loi relative à l’IVG la clause de conscience si elle demeure pour tout acte médical par ailleurs ? N’est-on pas dans une démarche purement symbolique ?

On pourrait prendre le problème

L. R. : autrement : pourquoi une clause de conscience spécifique, s’il y en a une générale ? C’est bien pour continuer à stigmatise­r les avortement­s en tant qu’acte thérapeuti­que et pour culpabilis­er les femmes.

Newspapers in French

Newspapers from France