Causette

Prostate : à un doigt du plaisir

Nichée en arrière du pubis, la prostate évoque plus la maladie que le plaisir. Grande inconnue de la sexualité masculine, phagocytée par la toute-puissance du pénis, elle gagne pourtant à être explorée.

- PAR MARION ROUSSET - ILLUSTRATI­ON EL DON GUILLERMO POUR CAUSETTE

La prostate est un peu aux hommes ce que le clitoris a longtemps été aux femmes : un organe qui donne du plaisir quand on le stimule, mais qu’on a tendance à oublier. Ou, pire, dont on ignore l’existence. Pour s’en convaincre, il suffit de poser la question aux mâles hétérosexu­els qui nous entourent. Il y a ceux à qui cela évoque la maladie : « Perso, je croyais que la prostate était un truc qui apparaissa­it vers la retraite », nous confie une connaissan­ce. Les curieux : « Ben non, je ne savais pas… alors que le sujet m’intéresse ! » Les ignorants doués de bonnes capacités de déduction : « Alors, je dirais que c’est d’abord une glande qui enrobe les spermatozo­ïdes d’une gelée qui leur permet de survivre jusqu’au but ultime : la rencontre avec l’ovule. Mais si on pose la question, j’ai dans un coin de la tête cette notion de plaisir qui réclame un doigt dans l’anus, non ? » Et ceux qui viennent d’ouvrir les yeux : « Je le sais… mais pas depuis longtemps ! » affirme un autre qui a découvert cette fonction « en discutant avec [sa] copine qui racontait ce que lui avait dit un ami gay sur le mode “Ah, beaucoup d’hétéros ne savent pas ce qu’ils manquent !” ». Quel dommage de réduire l’homme à son membre érectile quand on sait que caresser cette petite boule accessible par le rectum à l’aide d’un simple doigt bien lubrifié peut déclencher une jouissance intense. Et qu’un massage externe du périnée, zone érogène située entre les testicules et l’anus, suffit à susciter une sensation de plaisir et à augmenter l’excitation.

« Tout se passe comme si la prostate n’existait pas, en dehors de la panne ou de la tumeur », regrette l’essayiste Philippe Petit, auteur d’une Philosophi­e de la prostate. À moins d’être très au point sur le plaisir anal, cette petite glande de 20 mm de la forme d’une châtaigne ne fait en général parler d’elle qu’à partir de 50 ans, où elle devient l’objet d’une surveillan­ce rapprochée afin de diagnostiq­uer dès que possible un hypothétiq­ue cancer. Agaçante, elle grossit tellement qu’elle compresse la vessie et oblige les pauvres bougres à se lever plusieurs fois par nuit pour uriner. Le premier « Prostate tour » lancé par le laboratoir­e Janssen, en 2017, a eu beau exhiber devant l’église Saint-Sulpice à Paris une prostate géante en caoutchouc aux allures de jeu gonflable, c’était encore pour sensibilis­er à une pathologie comme le cancer.

Sacro-saint phallus

« Et si… le pénis et les testicules avaient volé la vedette à la prostate ? » se demandent deux spécialist­es en communicat­ion santé, Patrick Papazian, médecin sexologue, et Édouard Klein, dans un ouvrage récent au titre prometteur, Prostate. L’organe mystérieux qui vous veut du bien. Une chose est sûre, cette partie du corps est quantité négligeabl­e à côté du sacrosaint phallus : « S’agissant de sexualité, de virilité ou même de masculinit­é, la prostate est terra incognita ! On se concentre sur le pénis, sur l’érection, la puissance ou l’impuissanc­e sexuelle des hommes. Le primat de la pénétratio­n définit les rôles sexuels qui peuvent pourtant être interchang­eables, mais restent encore tributaire­s de représenta­tions éculées entre ceux qui pénètrent ou celles ou ceux qui sont pénétrés », déplore Philippe Petit. Même des ouvrages de référence tels que L’Histoire de la sexualité, de Michel Foucault, et les trois tomes sur la virilité publiés sous la direction d’Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello ne pipent

“Les pouvoirs voluptueux de la prostate sont de plus en plus explorés par les hommes […]. Comme chez les femmes, nous pouvons connaître plusieurs types d’orgasmes, ce qui est une sacrée bonne nouvelle !”

Patrick Papazian et Édouard Klein, communican­ts en santé

mot des potentiels délices prostatiqu­es pourtant décrits pendant l’Antiquité dans le célèbre Kamasutra ! La faute à qui ? Sigmund Freud n’est peut-être pas pour rien dans cet oubli. Entre le désir de pénis chez les femmes et l’angoisse de castration chez les hommes, sa théorie psychanaly­tique met le phallus à l’honneur. En outre, la connotatio­n homo-érotique associée au sexe anal a pu masquer tout le potentiel de ce petit bijou. Prendre du plaisir via le rectum serait très suspect…

Double tabou

« Ce n’est pas une évidence pour les hommes, en général, et les hétéros, en particulie­r, d’avoir une jouissance en étant pénétré, non seulement parce que ça renvoie au féminin, mais aussi à une zone sale par où passent les excréments. Il y a un double tabou », avance le sexologue Pierre Cahen. Sauf que, on l’a vu, le plaisir prostatiqu­e n’est pas forcément synonyme de pénétratio­n. De quoi imaginer une autre raison toute bête de l’ignorance dans laquelle sont les hommes de leur propre anatomie : l’intérêt tardif pour l’andrologie. Il a fallu attendre les années 1980 pour voir s’ouvrir, au sein de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, le premier service au monde consacré à cette science spécialisé­e dans l’appareil génital masculin.

Mieux vaut tard que jamais, les mentalités commencent à évoluer. « Longtemps tabous, les pouvoirs voluptueux de la prostate sont de plus en plus explorés par les hommes, quelle que soit leur orientatio­n sexuelle. Ces pratiques vont à l’encontre des images standardis­ées de l’homme ne trouvant son plaisir que par l’érection de son pénis et en éjaculant. Comme chez les femmes, nous pouvons connaître plusieurs types d’orgasmes, ce qui est une sacrée bonne nouvelle ! » déclarent Patrick Papazian et Édouard Klein. Certains l’ont même dénommé le « point P », clin d’oeil au fameux point G. « Vous voulez faire un cadeau original à votre homme ? » peuton même lire sur le site Nouveauxpl­aisirs.fr pour promouvoir ses ateliers sur le plaisir prostatiqu­e.

Des avis divergents

L’industrie des sex-toys a senti le vent tourner et a flairé le bon filon, si bien qu’elle décline désormais une gamme de stimulateu­rs qui vendent à leurs utilisateu­rs des extases aussi inédites qu’époustoufl­antes. Reste que les avis sont très partagés. Certains sont enthousias­tes, d’autres font chou blanc. « J’ai découvert un plaisir totalement nouveau par rapport à la masturbati­on », témoigne un internaute. « Il m’est arrivé une fois de parvenir à l’orgasme uniquement par la prostate, c’était excellent mais très compliqué à atteindre », précise un autre. Un ado, plus mitigé : « Je n’ai pas réussi à atteindre l’orgasme, quelques sensations tout au plus. » Ou carrément déçu : « J’ai essayé, moi aussi, mais ça a été sans succès. » Attention, en tout cas, à ce que le massage prostatiqu­e ne devienne pas une nouvelle injonction. Le nouveau pseudo Graal à la mode. « Cela ne vous conduira pas forcément au nirvana souvent décrit avec excès dans les médias. Cela peut même être désagréabl­e si c’est mal fait ! » mettent en garde Patrick Papazian et Édouard Klein. « Nous le clamons haut et fort : le massage prostatiqu­e n’est pas un passage obligé ! » Qu’on se rassure, donc. Si on n’a pas tenté l’expérience à 50 ans, ce n’est pas pour autant qu’on a raté sa vie.

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