J’ai testé le… négotraining
Un atelier gratuit pour que les femmes apprennent à négocier leur salaire : impossible de passer à côté d’une initiative aussi louable. Petit tour sur le terrain…
Quand ma copine Causette m’envoie une propale pour aller tester le négotraining dans une « business school » de la city of Nantes (Loire-Atlantique), je télécharge une appli d’English sur mon smartphone et j’achète la revue Management et son dossier spécial « Savoir négocier » pour réviser. True story. Et je dis oui parce que j’adore les voyages en terres inconnues. Le #Négotraining est un atelier de trois heures qui propose aux femmes des clés pour apprendre à né,gocier leur salaire, car il semblerait que, pour un tas de raisons, ce ne soit pas trop notre fort de parler sous-sous. Le projet est impulsé par l’école de commerce Audencia et la plateforme RSE Nantes Métropole. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est une charte de bon comportement vis-à-vis des enjeux environnementaux, sociétaux et éthiques, fondée sur le volontariat. Des langues fourchues disent que c’est de la décoration pour que le monde de l’entreprise redore son blason. Allons donc voir… L’atelier est gratis et ça ne peut pas faire de mal.
Préambule : l’éloquence des chiffres
À mon arrivée dans l’immense hall, Axelle, la chargée de communication, m’accueille avec son charmant sourire et me guide dans les méandres de la grande école. Nous montons dans l’ascenseur, non pas social mais franchement sexiste. Ses portes sont décorées de deux silhouettes. Sur l’une, celle d’un homme, gigantesque. Sur l’autre, minuscule : celle d’une femme en jupe. Drôle d’histoire…
Dans la salle, une dizaine de participantes attendent sagement assises face au tableau blanc. Anne-Laure Guihéneuf, la cheffe de projet, et une ancienne participante, Julie, dircom de son métier et devenue à son tour formatrice bénévole, se présentent, puis nous assènent les chiffres de la honte. Tous temps de travail confondus, les hommes gagnent 23 % de plus que les femmes et, à temps de travail et poste équivalents, l’écart est de 12,8 %. 10 % relève de la discrimination pure because plafond de verre, maternité et poids du travail domestique. Une étude
de RégionsJob de 2016 indique que les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à accepter l’offre salariale qui leur est faite sans la discuter et cette même étude révèle qu’un tiers des salariés français a obtenu une augmentation de salaire contre un quart des salariées. Les participantes opinent du chef. Quant à moi, bien énervée par toutes ces statistiques, j’ai déjà les manches retroussées, telle Rosie la riveteuse sur le flyer du #Négotraining.
Premier exercice, Julie propose de télécharger une application de quiz sur nos téléphones. Les questions sur la parité apparaissent et nous appuyons sur de gros carrés violets, verts, bleus. « Quand pensez-vous que l’égalité salariale sera atteinte dans notre pays ? 2020, 2050, 2186 ou 2300 ? » Enthousiaste, je buzze sur 2050, et non, c’est 2 186 ! Allez, plus que 168 ans.
Puis Anne-Laure propose un tour de table. Chacune dit son prénom, son poste. Y a du niveau. Responsable RH, cheffe de bureau d’études, directrice commerciale, cheffe de projet, directrice marketing, experte comptable. Les femmes disent les refus d’augmentation, de rendez-vous, la peur d’être rabaissées. L’une d’elles raconte cette impression de se prostituer quand elle parle d’argent, l’infantilisation : « Les hommes au bureau m’appellent “Bébé”. » Elles utilisent des mots forts : inconfort, imposture, illégitimité, intimidations, violence, angoisse, stress, menaces. Elles disent ne pas supporter de devoir sans cesse se justifier, prouver qu’elles peuvent, qu’elles font, qu’elles sont. Ce qui m’intrigue, c’est qu’elles disent souffrir d’avoir à se vendre. Et pourtant, elles viennent là pour apprendre à le faire…
Le test de l’ascenseur
Julie lance un jeu de rôle. L’ « elevator pitch » : vous rencontrez une relation professionnelle dans l’ascenseur ( je me mords la langue pour ne pas parler de celui de l’école) et vous vous présentez. Vous devez faire bonne impression, en une minute. En quoi faire bonne impression dans l’ « elevator » va-t-il améliorer mes chances de gagner plus ? Un truc a dû m’échapper.
J’entends ma voisine lâcher un petit gémissement qui en dit long sur son envie de jouer. Nous faisons équipe. Mon pitch est bredouillant, mais je souris, je fais des blagues, ma voisine prend de l’assurance, me raconte combien elle est un atout pour son entreprise, nous sympathisons. Je doute que nous serions aussi à l’aise coincées avec le boss dans l’ascenseur. Julie sonne la fin de la récré.
Elle nous explique maintenant qu’avant de négocier il faut savoir évaluer son poste, en utilisant des sites d’emploi pour comparer et ensuite choisir le bon « timing » pour se lancer. Grâce à une clé magique… celle de l’harmonie (les grands mots !). Il faut se valoriser, mais pas trop (ben voyons), cultiver l’empathie, être claire et concise, ne pas être agressive (houlala, surtout pas !) et éviter l’humour (zut…). J’ai l’impression d’entendre Tata Jacqueline, qui adorait la Comtesse de Ségur. Pour rafler la mise, y a donc tout intérêt à être une gentille fille modèle. Julie ajoute qu’il ne faut pas non plus se dévaloriser, être démoralisée ni démoralisante… Bien.
Maintenant que nous ne sommes ni trop gaies ni trop tristes arrive le « climax » de l’atelier : the negociation. Je retrouve ma copine de jeu. Moi, je serais la dirigeante et toi, tu serais la négociatrice qui vient me réclamer une augmentation. Elle louvoie, tourne autour du pot, puis demande l’augmentation. Et aussi une prime et un abonnement à la salle de gym. Et là, patatras, en pleine crise d’empathie, je lui donne tout. Pas très réaliste, notre affaire.
La stratégie de la fourchette
Un duo de participantes enthousiastes nous offre leur prestation en exemple. La négociante est calme, sûre d’elle, explique ses réussites, ses projets sauf que la boss se « laurence-parisotise » sous nos yeux ébahis et ne cède rien. Les formatrices en sont presque gênées.
Finalement, Anne-Laure nous dévoile la star du #Négotraining : la « stratégie des fourchettes ». Rien à voir avec le fameux repas d’affaires où on picole en mangeant des vol-au-vent. Il s’agit d’identifier le salaire cible et de lui ajouter 15 %. Donc, il faut demander 50 000 pour espérer obtenir 43 000 euros net annuels. Voilà la fourchette. Ma mâchoire se décroche légèrement, je regarde discrètement mes voisines qui ne manifestent aucune surprise devant ce sacré bon coup de fourchette. Ensuite, Julie prend nos mails, car nous allons faire partie de l’étude #Négotraining et être interrogées à six mois et à un an sur nos avancées en termes de négociation. À nous deux, Causette !
Je m’apprête à lever le doigt pour donner deux-trois idées qui trottent dans ma tête d’hystérique : créer un syndicat de femmes, faire des grilles de salaires pour lever l’opacité qui règne dans le monde de l’entreprise et ne pas perdre de temps à négocier comme dans le souk à Marrakech. Et pourquoi pas des ateliers pour « déformer » les hommes ? Mais c’est déjà la fin et la plupart s’envolent rapidement, il est 20 heures, d’autres négociations les attendent sûrement à la maison. Alors, je redescends par l’ascenseur sexiste, sans oublier de remercier mes hôtesses… Et puis je m’évade dans les rues de Nantes pour négocier le prix d’une bonne bière en harmonie avec moi-même.