Autisme : vue(s) de l’intérieur
Trois romans viennent de paraître coup sur coup sur le même thème : le parcours de parents dont l’enfant est autiste. Qui mieux qu’une personne atteinte elle-même d’autisme pouvait rendre compte de ces livres et interviewer leurs auteur·es : Florence Henr
Atteint du syndrome d’Asperger, Josef Schovanec donne de nombreuses conférences sur ce sujet, dont le succès tient à la fois de l’originalité de ses points de vue et de son pétillant sens de l’humour. Ainsi raconte-t-il, à propos de son handicap : « La question qui hante [ma] scolarité : si vous ne savez ni jouer au cerceau ni nouer vos lacets, mais que vous vous passionnez pour le calcul différentiel, avez-vous les compétences pour passer en année supérieure de maternelle ? » Il les avait. Maintenant, on se tait, la parole est à Josef !
« L’autisme, sujet inconnu il y a peu encore, entre dans le domaine littéraire. Les ouvrages sur le petit monde de l’autisme, toujours plus nombreux, explorent davantage des thématiques sociétales et s’ouvrent à la fiction.
La timidité des parents, repoussés aux marges de la société, appartient dorénavant à un âge révolu : de plus en plus, ils s’affirment face à l’ignorance dont leur famille est la première victime. L’incompétence de certains professionnels, si elle brise toujours des vies, est de mieux en mieux combattue et dénoncée. Les mères [car oui, ce sont les mères dans la majorité des cas qui prennent en charge leurs enfants autistes, ndlr], loin d’être, à l’instar de leurs prédécesseures, des héroïnes isolées, tissent aujourd’hui de puissants réseaux. Elles s’organisent et parviennent souvent à faire plier les plus puissantes corporations, voire les gouvernements eux-mêmes.
De tout temps, la prise en compte des enfants autistes a été l’apanage des mères. Mais à présent, elles étendent et diversifient leurs actions. De la mise en place de formes nouvelles de solidarité (à la manière d’échange de conseils) à des coups d’éclat faisant trembler le pouvoir établi.
De ces trois livres émerge donc l’une des facettes les plus saisissantes du monde de l’autisme : il pourrait bien être à l’avantgarde du combat féministe, à la pointe des combats sociétaux de notre temps !
Décrites dans ces trois romans, cette implication et cette surhumaine volonté des mères font écho à la carence ou à l’absence des hommes. On les croise rarement dans ces pages, ou alors ils sont en fuite ou en mauvaise posture. Dans la sphère familiale, ils s’évaporent dès la découverte du handicap. Et leur retour annonce si souvent épreuves et souffrances, que la seule évocation, au détour d’un paragraphe, d’un élément masculin, inquiète le lecteur attentif.
Les hommes apparaissent plutôt dans le rôle de professionnels de la santé, ignorants et dépassés, ou de responsables publics incapables de saisir les enjeux nouveaux.
C’est la dimension existentialiste de ces récits qui restera gravée dans notre mémoire : chacun raconte comment, face à l’hostilité du monde, quelle que soit la direction vers laquelle on lève les yeux dans l’attente d’un salut qui n’advient pas, notre monde intérieur recèle des forces insoupçonnées.
À ce titre, ces trois romans, par-delà l’autisme ou le handicap, sont des récits saisissants d’écoles de la vie. »