Interview de Virginie Rozée, sociologue
“Énormément de couples hétérosexuels se rendent à l’étranger, notamment parce qu’ils veulent bénéficier d’un don d’ovocyte”
Qui sont celles qui partent à l’étranger pour bénéficier d’une PMA ? Quelles conséquences pourrait avoir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes ? Sociologue à l’Institut national d’études
démographiques (Ined), spécialiste du sujet, Virginie Rozée éclaire la lanterne de Causette.
CAUSETTE : Combien d’enfants sont né·es, en France, grâce à une PMA réalisée à l’étranger ?
On ne le sait pas, il n’existe
VIRGINIE ROZÉE : aucune donnée sur ces enfants. Lorsqu’une femme accouche en France, on n’est pas censé savoir comment a été conçu son bébé. Et comme on n’a pas de base représentative sur celles qui partent à l’étranger, on ne peut pas, pour l’instant, estimer le nombre de personnes concernées. Mais nous sommes en train de travailler dessus.
Quel est le profil des femmes qui partent à l’étranger pour recourir à la PMA ? Est-ce réservé aux femmes les plus aisées ?
D’abord, je tiens à rappeler qu’il n’y a
V. R. : pas que les femmes seules et les lesbiennes, autrement dit les « exclues » de l’assistance médicale à la procréation [AMP ou PMA, ndlr], qui sont concernées par les recours transnationaux. Il y a aussi énormément de couples hétérosexuels qui se rendent à l’étranger, notamment parce qu’ils veulent bénéficier d’un don d’ovocyte – ce qui n’est pas évident en France, où l’organisation du don d’ovocytes ne permet pas d’avoir accès rapidement à cette technique. On trouve aussi des personnes qui auraient pu bénéficier d’une prise en charge en France, mais qui se sont vu refuser l’AMP du fait de leur âge, par exemple, ou parce qu’elles ont déjà fait des tentatives à répétition qui ont échoué.
Après, pour répondre à votre question, parmi les femmes seules ou en couple avec une femme, qui partent à l’étranger, on trouve surtout des CSP+, mais pas seulement. Il y a également des personnes qui vont faire un emprunt ou avoir recours à d’autres sources de financement pour pouvoir se payer cette AMP. Ces femmes vont d’abord en Espagne, puis en Belgique, soit des pays frontaliers où il est assez simple de se rendre et où il y a des médecins qui parlent français.
Lors de nos recherches, nous avons reçu de nombreux témoignages d’enfants de couples lesbiens, mais très peu venant d’enfants conçu·es par une femme seule. Est-ce un hasard ou cela reflète-t-il une réalité démographique ?
C’est compliqué à dire. Il est vrai que
V. R. : les femmes seules ne représentent pas la majorité de celles qui partent à l’étranger pour faire une AMP. Et, par ailleurs, celles que j’ai rencontrées expliquaient qu’elles ne l’avaient pas fait par choix, et que leur modèle familial idéal de famille restait celui
du couple. Elles espéraient toutes que cette situation de « monomaternité » choisie serait provisoire. Ce qui est peut-être en train de changer, d’ailleurs, parce que les femmes qui font un enfant seule sont de plus en plus acceptées. Les familles monoparentales existent depuis très longtemps, elles ne sont plus considérées comme des familles « déviantes ». Mais il y a encore ce modèle très ancré de la famille triangulaire, avec un enfant et deux parents, y compris chez les personnes qui ont recours à une AMP hors des configurations familiales dominantes.
L’un des principaux arguments mobilisés par les opposants à la « PMA pour toutes », c’est que l’absence de père serait une source de troubles pour les enfants. Ces réticences vous semblent-elles justifiées ?
Depuis les années 1990, des études
V. R. : ont été menées aux États-Unis, en Israël, au Royaume-Uni ou en Belgique, afin de voir comment se développe l’enfant dans une configuration homo- ou monoparentale. Ces études, menées sur de petits échantillons, ne sont pas forcément représentatives. Néanmoins, toutes convergent sur le fait qu’être élevé·e sans père ou par deux mères n’a pas d’impact. Les scores que ces enfants obtiennent dans l’évaluation psychologique, cognitive, émotionnelle ou sociale sont complètement semblables à ceux qui sont relevés dans les familles standards. Par ailleurs, ce sont des configurations qui existent depuis très longtemps, et on n’a pas observé que ces enfants se distinguaient des autres par rapport à leur schéma familial. Donc, au vu de ces éléments, on peut dire que cet argument ne tient pas.
L’autre argument des détracteurs de la « PMA pour toutes », c’est que cette ouverture conduira inévitablement à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), par souci d’équité pour les couples gays. Faut-il s’attendre à ce que, une fois la PMA autorisée pour toutes les femmes, la GPA soit effectivement légalisée en France ?
Tout dépend de la définition qu’on
V. R. : donne à la GPA. Pour moi, la GPA fait partie des techniques d’AMP et, dans cette perspective, cela pourrait ouvrir certaines portes. Sauf qu’en France, la GPA, en plus d’être interdite, n’est pas du tout considérée comme une technique d’AMP. Il me semble que c’est vraiment un débat à part, d’autant que cette question ne fait pas seulement appel à la médecine, mais aussi à la liberté et à l’autonomie des femmes. Donc ce n’est pas parce qu’on va ouvrir l’AMP que, demain, la GPA sera autorisée aux couples d’hommes. Et même si elle l’était, il n’y a pas forcément de lien entre les deux.
Quelles seront les conséquences si, demain, la PMA était ouverte aux femmes seules et aux lesbiennes ?
Contrairement à ce qu’on peut parfois
V. R. : entendre, ça ne va pas créer une révolution démographique ni une révolution sociologique. Le modèle dominant restera celui d’une famille hétéroparentale. Cette ouverture accompagnera simplement une diversification des familles, qui est déjà en cours dans la société française et dans le monde. Cela donnera peut-être aussi une meilleure visibilité – et donc plus de légitimité – à ces familles. Familles qui, je le répète, existent depuis très longtemps.
Et du côté des mères ?
Le fait que l’AMP soit, pour l’instant,
V. R. : interdite en France aux femmes seules ou aux lesbiennes donne le sentiment qu’elles font quelque chose d’illégal lorsqu’elles se rendent à l’étranger. Ce qui n’est pas le cas, puisqu’elles vont dans des pays où c’est tout à fait légal ! Et même en France, aucune loi n’interdit aux couples de femmes ou aux femmes seules de faire des enfants. C’est juste qu’elles n’ont pas le droit, sur le territoire français, d’utiliser la médecine pour avoir ces enfants. Elles sont exclues du système, mais elles ne sont pas « hors-la-loi ».
Concrètement, l’ouverture de l’AMP facilitera le parcours de toutes ces femmes qui partent aujourd’hui à l’étranger, ce qui requiert du temps, de l’énergie, de l’argent. Après, il faudra peut-être se poser la question du don et de la façon dont on peut mieux l’organiser, mieux informer, mieux sensibiliser les donneurs. Et puis réfléchir à la question de l’accès aux origines. Ces réflexions seront bénéfiques pour tout le monde.
“Ce n’est pas parce qu’on va ouvrir l’AMP que, demain, la GPA sera autorisée aux couples d’hommes”