Causette

CONTRE : Élisabeth Badinter

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CAUSETTE : Que pensez-vous de ce débat sur la suppressio­n de la clause de conscience spécifique à l’IVG ?

L’irruption de ÉLISABETH BADINTER : ce débat m’a beaucoup interrogée. Finalement, après réflexion, et même si je suis particuliè­rement attachée au droit à l’IVG, je peux dire que l’idée de supprimer la clause de conscience concernant l’IVG me semble dangereuse. Cette mesure a les mêmes ressorts philosophi­ques que l’État de droit, qui permet, par exemple, à des appelés de ne pas aller à la guerre. [Entre 1963 et 2001, un statut spécial protège les conscrits objecteurs de conscience, ndlr.] Historique­ment, elle a été une concession nécessaire faite aux adversaire­s de l’avortement. Personne, parmi les militants proIVG, ne se serait amusé en 1975 à discuter ce point de la loi. Et c’est aussi l’enjeu actuel : il est probable que si vous ôtez cette concession aux conservate­urs, alors ils se précipiter­ont pour relancer le débat sur l’avortement en lui-même.

Mais par la suite, d’autres compromis tels que l’exigence d’une situation de détresse ou le délai de réflexion ont disparu de la loi Veil. Pourquoi pas la double clause de conscience ?

La clause de conscience ne É. B. : peut pas être mise au même niveau que ces autres dispositio­ns. Il y aurait une dimension liberticid­e à contraindr­e et faire fi des conviction­s de chacun sur un tel sujet. Et Dieu sait que je suis laïque ! Mais je serais tout de même un peu choquée par la disparitio­n de cette clause. L’argument « c’est le sens de l’histoire » n’est pas recevable : le progrès, c’est de permettre aux femmes d’avorter sur l’ensemble du territoire français, pas d’obliger les médecins à pratiquer cet acte. J’ai l’impression que les femmes qui veulent avorter le paieraient. De la même manière qu’on faisait payer cher celles qui venaient dans des hôpitaux à la suite d’une hémorragie enclenchée par un avortement illégal.

Dans le même temps, je considère que l’on a raison de tirer la sonnette d’alarme sur les difficulté­s d’accès à l’avortement en France et que la ministre a raison de monter au créneau face à la montée en puissance réactionna­ire. Je suis, par exemple, complèteme­nt angoissée par les proportion­s que prend cette clause en Italie.

Quelle serait alors la solution à vos yeux ?

Est-ce qu’il ne pourrait pas É. B. : y avoir dans chaque départemen­t des centres IVG militants, gérés par des femmes ? Le problème, c’est que ce serait alors encore aux femmes de se battre pour ce droit. Vous remarquere­z que ce sont toujours les hommes qui en appellent à cette clause. Et que, par ailleurs, la parole des femmes sur l’IVG est régulièrem­ent confisquée par celle des hommes. Je suis très en colère qu’après la scandaleus­e comparaiso­n du pape entre avortement et « tueur à gages » , ce soit des hommes, et seulement des hommes, qu’Europe 1 a fait réagir dans sa matinale.

Une autre piste : revalorise­r cet acte déconsidér­é en le rémunérant mieux. Il faut renouer avec l’esprit militant du planning familial des années 1970. Après 1975, il y avait pour les médecins une certaine stature à pratiquer les IVG, car c’était être du côté des femmes. J’insiste aussi sur le fait que l’État n’est pas exclu du militantis­me : c’est à lui de garantir et donc de financer le droit de toutes à avorter, n’importe où sur le territoire.

“L’argument ‘c’est le sens de l’histoire’ n’est pas recevable : le progrès, c’est de permettre aux femmes d’avorter sur l’ensemble du territoire français, pas d’obliger les médecins à pratiquer cet acte ” Élisabeth Badinter

“Pourquoi une clause de conscience spécifique, s’il y en a une générale ? C’est bien pour continuer à stigmatise­r les avortement­s en tant qu’acte thérapeuti­que et pour culpabilis­er les femmes ” Laurence Rossignol

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