Rana Ahmad : l’évadée d’Arabie saoudite
Elle aspirait à être libre, dans un pays qui ne reconnaît ni liberté de conscience ni droits des femmes. Parvenue à s’échapper du royaume saoudien, véritable prison à ciel ouvert, Rana Ahmad se bat aujourd’hui contre l’obscurantisme depuis l’Allemagne.
Ironie du sort : au moment même où l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi défrayait la chronique, une autre Saoudienne, Rana Ahmad, arrivait à Paris pour promouvoir son livre, Ici, les femmes ne rêvent pas. Un ouvrage captivant dans lequel cette pétillante jeune femme de 33 ans, qui vit aujourd’hui sous pseudonyme, raconte ce qu’il en coûte d’habiter – et de quitter – l’un des pays du monde les plus hostiles aux femmes. Cette histoire, c’est la sienne : celle d’une gamine contrainte de porter le niqab à 13 ans, qui s’est mariée à 17 ans, a divorcé, a rompu avec l’islam et a fini par fuir clandestinement vers la Turquie, la Grèce et enfin l’Allemagne, où elle est désormais installée. « Ce pays est devenu le mien », dit-elle d’ailleurs volontiers, en allemand. Sans regret aucun pour la vie qu’elle a laissée derrière elle. « À la fin, le choix était simple : soit je quittais l’Arabie saoudite, soit je me suicidais », confie la jeune femme, qui craint toujours que son frère aîné ne la fasse tuer.
Doublement “fautive”
Réfugiée politique, elle n’a plus aucun contact avec sa famille. À l’exception de son père, cet homme qui l’a toujours soutenue, qui a précieusement gardé ses affaires (qu’il trimballe dans son coffre de voiture) et avec lequel elle continue régulièrement d’échanger, uniquement par mail. « J’ai peur qu’il soit sur écoute », confie-t-elle. Car aux yeux des autorités saoudiennes, Rana Ahmad est doublement fautive : coupable d’avoir quitté le pays sans l’autorisation de son tuteur masculin, cette athée est également devenue une fervente défenseure de la liberté et des droits humains. De quoi la conduire tout droit à l’échafaud. Et même si, depuis son arrivée au pouvoir, en 2017, le prince héritier Mohammed ben Salmane fait mine de vouloir libéraliser son pays, Rana Ahmad ne se fait aucune illusion. « Le pouvoir saoudien fait énormément de propagande, mais je suis en contact avec des femmes là-bas et je sais que non seulement les choses ne changent pas, mais elles empirent, constate-t-elle. Toutes celles qui avaient milité pour le droit de conduire sont aujourd’hui en prison. Ça exerce une pression énorme sur les autres femmes, qui ont peur de connaître le même sort. » Dans le royaume wahhabite, impossible de se réunir pour échanger, débattre et encore moins militer, sous peine de finir à Dar Aleraya, l’une de ces prisons pour femmes qu’abrite l’Arabie saoudite. Seul Internet permet de contourner (un peu) les règles, notamment grâce au hashtag #StopEnslavingSaoudiWomen, qui fait office de point de ralliement pour les dissidentes.
Soutien aux athées réfugié·es
Parce qu’elle sait qu’il est quasiment impossible de faire bouger les choses de l’intérieur, Rana Ahmad tente donc, depuis l’Europe, de soutenir les femmes – et parfois les hommes – qui aspirent à mener une autre vie. Outre son activisme sur les réseaux sociaux, la jeune femme a créé, en janvier, l’association Atheist Refugee Relief, pour venir en aide aux athées et/ou aux militant·es qui débarquent en Allemagne, parmi le flot des réfugié·es de la guerre et de la misère. Quant à elle, elle s’autorise aujourd’hui à rêver en grand : à la rentrée prochaine, elle entrera à l’université pour suivre des études de physique et devenir chercheuse. Résolument libre.