Causette

LE MILITANT DU “PÈRECREDI”

Pour que cessent les inégalités profession­nelles, les entreprise­s doivent changer leur façon de gérer les hommes, affirme Antoine de Gabrielli, 59 ans. Ce patron parisien, père de six enfants, a créé le réseau Happy Men Share More et Mercredi-c-papa.

- © É. L. B.

« Mon objectif, c’est de lutter contre l’idée que, pour être un mec qui réussit au travail, il faut sacrifier sa vie perso. Un jour, j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas dans mon mode de vie et dans celui des couples autour de moi. Je suis une sorte de repenti [rires]. Ce qui m’a frappé, c’est que les hommes autour de moi pensent qu’ils n’ont pas le choix, que “c’est comme ça la vie”. Pas parce qu’ils sont sexistes, mais juste parce qu’ils sont enfermés dans un système néolibéral magnifique­ment construit pour aliéner leur vie privée. Les boîtes qui traitent les questions d’égalité préfèrent se concentrer sur l’empowermen­t des femmes. C’est très bien, mais c’est à cause de ça que l’égalité n’avance pas : ça ne sert souvent qu’à arrondir les angles sans résoudre le problème.

Tant qu’on ne changera pas la façon de gérer les mecs, ça ne bougera pas ; tant que les dirigeant·es considérer­ont qu’un homme engagé dans son travail ne prend pas son mercredi, on peut faire tout ce qu’on veut, les femmes qui prennent leurs mercredis seront majoritair­ement sacrifiées. Demandez à un cadre sup ce qui se passe si son collaborat­eur préféré lui annonce qu’il va désormais prendre ses mercredis ! Le modèle du “bon” collaborat­eur, c’est une personne à la disponibil­ité en temps et à la mobilité géographiq­ue maximales : statistiqu­ement, à 90 % il s’agira d’un homme dont la femme assure l’intendance !

Happy Men Share More sert à faire comprendre aux hommes qu’il faut en finir avec cette idée qu’un homme, ça doit bosser, rentrer tard le soir et s’engueuler avec sa femme à cause de ça. Je connais une société où les dirigeants avaient réuni leur réseau féminin pour leur demander ce qu’ils pouvaient faire de plus pour elles : une femme s’était levée et avait dit : “Pour nous, rien, mais pour nos maris, beaucoup !” Notre modèle est la cause d’un incroyable gâchis de talents : de femmes qui arrêtent de travailler ou qui optent pour des jobs moins engageants, mais aussi d’hommes démotivés, stressés, usés, carbonisés. Ce que j’affirme aux entreprise­s, c’est que si vous gâchez massivemen­t les talents, vous gérez mal votre boîte, donc vous êtes un mauvais patron, point.

L’autre idée fausse, c’est que ce serait aux femmes et à elles seules de changer pour résoudre les problèmes d’inégalité profession­nelle. En creux, cela signifie qu’on considère qu’elles sont responsabl­es des inégalités qu’elles subissent, c’est faux ! Il faut modifier notre manière de gérer et partager le temps dans la vie profession­nelle : déplacemen­ts et mobilités, organisati­on de séminaires, heures de réunions tardives, ponctualit­é aux réunions ou temps sociaux, par exemple, désavantag­ent presque toujours les femmes. Car ça ne sert à rien de changer de regard si c’est la structure et la mécanique du système qui bloquent en enfermant les hommes et en excluant les femmes. »

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