Causette

Ça tourne sous les jupes des filles

- PAR ANNA CUXAC

Dans Le Bureau des légendes, ils appellerai­ent ça un truc du genre « concomitan­ce de signaux faibles potentiell­ement significat­ifs ». D’abord, il y a eu Marie lectrice de Causette, qui est tombée, dans le portable de son compagnon, sur une vidéo filmant sous la jupe d’une femme dans un supermarch­é, et elle a reconnu les chaussures de son jules. Ensuite, il y a eu Léa qui a mis fin à une relation parce qu’une copine avait reconnu son propre corps sur un site porno. À chaque fois qu’une « amie » passait chez elle, son ex filmait en caméra cachée son décolleté et mettait les images en ligne. Enfin, il y a ces cas qui ponctuent les rubriques faits divers des journaux : poursuite pour voyeurisme aggravé en novembre, à Toulouse, d’un type de 34 ans qui avait tenté de filmer sous la robe d’une femme dans le métro ; ouverture d’une enquête fin octobre, en Seine-et-Marne, à l’encontre d’un homme de 46 ans chez qui la police a découvert plus de sept cents images volées, certaines disponible­s sur Internet. Mention spéciale à cet Américain qui, cet été, s’est fait connaître à cause de l’incendie provoqué par la surchauffe de la microcamér­a qu’il avait fixée à sa chaussure pour violer nos intimités avec moult efficacité­s.

Car il s’agit bien de cela : filmer contre sa volonté une « fille anonyme », selon les mots de la journalist­e Laureen Ortiz pour mieux bander : « L’image porno ne vient dans ce cas non d’une profession­nelle qu’on a payée, mais de n’importe quelle fille piégée dans la rue, telle une proie. La rue est ainsi définie comme le territoire de prédateurs où toutes les femmes sont de potentiell­es prostituée­s. » Le journalist­e et écrivain Stéphane Rose ajoute que c’est « l’interdit qui joue dans l’excitation de la photo volée, car la peur de l’interdit, en général, est le moteur de bien des fantasmes. Et aujourd’hui, en trois clics, on peut voir des sexes et des anus de femmes pénétrés par un ou plusieurs sexes. C’est trop simple, trop facile. Ce qu’on veut, c’est imaginer, et un petit morceau de fesses volé aux entrebâill­ements de tissu active ce truc merveilleu­x qu’est l’imaginatio­n et qui est absent de la pornograph­ie, où tout est visible d’emblée. » Sauf que, comme l’ajoute Stéphane Rose, il y a un monde entre le désir « souchonesq­ue » de regarder Sous les jupes des filles et « l’upskirt, illustrati­on d’une culture du viol persistant­e ». Les multinatio­nales du porno ne sont pas en reste dans l’élaboratio­n du fantasme, puisqu’elles jouent avec les codes du « gonzo ou style télé-réalité », décrypte Laureen Ortiz, pour brouiller les pistes et les sens de leurs clients. « Le paradoxe, analyse la journalist­e, c’est qu’à force de jouir sur des trucs “qui font vrai”, les garçons s’éloignent de la réalité. » Et certains passent à l’étape de la transgress­ion en se payant le frisson eux-mêmes.

Alors, on fait quoi ? On sort en pantalon dans la rue jusqu’à ce que la culture du viol ait été éradiquée de la planète ? Autant vous dire que vos gambettes ne verront plus jamais le soleil. Pour Stéphane Rose, les signaux faibles relevés par Causette ne constituen­t pas un « phénomène ». À défaut d’étude sociologiq­ue sur le sujet, on pourra sans doute mesurer l’ampleur de l’upskirt dans quelques années avec le nombre de mises en examen pour délit de « captation d’images impudiques », créé spécialeme­nt contre ce phénomène dans la loi Schiappa contre les violences sexistes et sexuelles, qui prévoit jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende. À bon entendeur !

1. Les prénoms ont été modifiés. 2. Auteure de Porn Valley, livre-enquête sur l’industrie du porno à Los Angeles, publié en mars aux éditions Premier parallèle. 3. Auteur de nombreux ouvrages sur la sexualité, notamment

Comment rater sa vie sexuelle, publié en 2012 aux éditions La Musardine.

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