Causette

Interview de Carey Mulligan

On l’a découverte dans Orgueil et Préjugés. Elle nous a scotché·es dans Drive ou Shame. Avant de nous emballer dans Les Suffragett­es. Carey Mulligan, subtile actrice anglaise, est toujours juste, quelle que soit sa partition. Elle emporte à nouveau le mor

- PAR ARIANE ALLARD

CAUSETTE : Jeanette, votre personnage dans Wildlife, est une femme au foyer américaine à la fois typique et atypique. Drôlement complexe, non ?

Au début, oui, elle ressemble à la femme au foyer typique des années 1950. Elle semble tout faire à la perfection. En réalité, je pense que ça lui demande un effort considérab­le. Pour moi, Jeanette a noué un contrat tacite avec son mari. À charge pour lui de se conduire comme un brave type et d’avoir un boulot, à charge pour elle de le soutenir et de faire en sorte que les choses restent parfaites. Les premières fissures surviennen­t quand il refuse de reprendre son job, puis quand il part travailler loin : à ce moment-là, elle ne peut plus faire semblant. Tout s’effondre. C’est cette implosion, précisémen­t, que raconte Wildlife. C’est si rare un personnage féminin aussi bien écrit !

Vous auriez dit à Paul Dano, réalisateu­r et coauteur du film avec Zoe Kazan, que ce personnage résonnait particuliè­rement en vous en tant que mère…

Disons que je peux partager avec elle un même sentiment d’injustice… De fait, quand on vit en couple et qu’on devient parent, les hommes, dans la plupart des cas, gardent une liberté que les femmes n’ont plus. Voyez dans le film : le mari de Jeanette s’absente pendant des mois. Elle, elle ne peut pas. C’est hors de question. Cette impossibil­ité de s’échapper, je l’ai ressentie quand j’allaitais mes enfants. Par ailleurs, mon compagnon est très impliqué. Mais, malgré tout, un sentiment de déséquilib­re s’installe entre l’homme et la femme.

Il semblerait que vous ayez dû, à plusieurs reprises, défendre Jeanette face à des spectateur­s qui la jugeaient sévèrement. Surprise ?

Oui, c’est arrivé lors d’un débat à New York, après une projection. Un homme, un peu bizarre, a été agressif. Je lui ai répondu que je comprenais sa réaction, vu la façon dont, d’ordinaire, le cinéma représente les personnage­s féminins ! C’est simple : soit ce sont des saintes, soit elles se situent à l’extrême opposé. Avec peu de marge de manoeuvre entre ces deux stéréotype­s. Voilà pourquoi, lui ai-je dit, vous avez été autant dérangé par Jeanette. Parce qu’elle est juste une femme normale qui tente de s’en sortir ! Pendant le Festival de Cannes, trois journalist­es, tous des hommes, l’ont également qualifiée de « mère déplorable » , me demandant ce que j’en pensais. Intéressan­t qu’en cette période post #MeToo, ce genre de questions émerge, non ? Le plus fou, c’est qu’on trouvait des rôles féminins d’une grande complexité dans les années 1940, 1950, 1960 et 1970. Puis les blockbuste­rs sont arrivés dans les années 1980 et tout cela s’est perdu…

Pensez-vous pouvoir faire évoluer les choses, en tant qu’actrice de premier plan ?

Dire les choses ne suffit pas. Ce qui compte à Hollywood, c’est l’argent. Qu’est-ce qui détermine les studios à financer des projets ? Le nombre d’entrées ! Donc si les gens veulent qu’il y ait davantage de réalisatri­ces et de scénariste­s femmes, qui donnent à voir davantage de personnage­s féminins intéressan­ts, il faut qu’ils se mobilisent pour voir leurs films. En clair, qu’ils achètent des tickets ! Ça n’est pas plus compliqué que cela.

Wildlife. Une saison ardente, de Paul Dano.

Sortie le 19 décembre.

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