Autriche : les mamies debout contre l’extrême droite
Depuis l’arrivée au pouvoir de la droite et de l’extrême droite, il y a un an, un collectif de mamies pas piquées des hannetons, les Omas gegen Rechts, a décidé de s’opposer pacifiquement au gouvernement. Elles font des émules dans tout le pays et même à l’extérieur.
Ce 1er novembre, à 17 h 30, quelques personnes commencent déjà à se rassembler près de la place Albertina, à Vienne. Comme tous les jeudis soir, des milliers de manifestant·es défilent dans les rues de la capitale autrichienne, proclamant leur hostilité au gouvernement. Parmi eux, un petit gang de mémés commence à sortir des pancartes sur lesquelles on peut lire, en lettres noires : « Omas gegen Rechts. » Comprendre : les mamies contre la droite. En Autriche, depuis décembre 2017, un gouvernement de droite et d’extrême droite est au pouvoir. L’ÖVP, le parti des conservateurs chrétiens, est en effet arrivé en tête de l’élection législative d’octobre 2017. Sebastian Kurz, jeune homme de 31 ans et leader de l’ÖVP, a été chargé de composer un gouvernement. Pour cela, il a fait alliance avec le FPÖ, le parti d’extrême droite. Sebastian Kurz est devenu chancelier et Heinz-Christian Strache, le chef du FPÖ, connu pour avoir été proche des milieux néonazis pendant sa jeunesse, a reçu la charge de vice-chancelier. Depuis, un groupe de grands-mères a décidé d’entrer en résistance. Elles sont quatrevingts membres actives à Vienne. Et le phénomène a largement débordé le cadre de la capitale pour se propager à travers toute l’Autriche : cinquante-sept à Salzbourg, quatre-vingts à Graz, deux cent quatre à Linz et sa région, vingt-six à Steyr et quatre-vingt-six dans la région Vorarlberg-Tirol. À ce jour, leur page Facebook est suivie par 7 340 personnes. Ce soir, les Omas gegen Rechts de Vienne seront fidèles au poste et défileront pour crier haut et fort leur désaccord avec la politique du chancelier Kurz.
Monika Salzer, 70 ans, théologienne à la retraite, est présente à la manifestation. Il ne s’agit pas de n’importe quelle mamie : c’est elle qui est à l’origine de ce collectif. « Quand j’ai vu que Kurz allait former une alliance avec l’extrême droite pour composer le gouvernement, je me suis dit que les choses allaient vraiment mal. Ils sont très agressifs et ont un discours haineux. Alors j’ai allumé mon ordinateur et mon regard est tombé sur la photo de ma mère et de ma grand-mère, deux femmes fortes, qui ont toujours été impliquées alors que les temps étaient durs. Je me suis dit que c’était à mon tour d’être courageuse et j’ai créé un groupe sur Facebook, Les Mamies contre la droite, un nom assez explicite sur ce que je voulais faire. » Susanne Scholl, 69 ans, ancienne journaliste et écrivaine, rejoint très vite Monika dans son combat. Ensemble, elles structurent les Omas gegen Rechts. Un genre de club de mamies badass.
Sur tous les fronts
Défense de la démocratie parlementaire, lutte pour le maintien des acquis sociaux – en particulier en matière d’égalité homme-femme –, opposition au racisme et au discours haineux à l’encontre des étrangers : voici les messages que portent ces grands-mères autrichiennes.
Dans la manifestation, les Omas se repèrent au premier coup d’oeil : toutes portent un bonnet de laine aux couleurs vives. « C’est un clin d’oeil au Pussy hat, le bonnet rose que portaient les femmes qui ont manifesté contre Trump », explique Monika, qui pouffe en ajoutant : « Ils ne sont pas très beaux, mais c’est très efficace, tout le monde nous voit grâce à cela. » Les grands-mères sont rodées à l’exercice de la communication. Manifestations, conférences, ateliers, interventions dans les écoles, elles se mobilisent pour faire passer leur message. « Nous avons une position privilégiée dans la famille, mais aussi dans la société. Les gens ont confiance en nous, et en nous voyant protester dans la rue, ils se disent que quelque chose ne tourne pas rond », souligne Monika.
En ce soir de 1er novembre, la foule grossit, car tous et toutes sont invitées à manifester, et bientôt six mille personnes commencent à marcher. Pour ce rassemblement, la consigne a été donnée de rester calme et de ne pas faire trop de bruit, car ce jour férié sert d’abord à honorer les morts et, par correction, le silence est de rigueur. Néanmoins, lorsque le cortège arrive devant le Parlement, les sifflets se déchaînent et la foule hue le bâtiment, symbole de la politique autrichienne. Les mémés ne sont pas les dernières. Dans les rangs des Omas, Doris, 65 ans : « Je me suis engagée en novembre, dès le début. Je l’ai fait parce que mon grand-père a été anéanti par le système nazi. Il a d’abord été envoyé au camp de concentration de Buchenwald, où il a survécu pendant deux ans et demi. Ensuite, ils l’ont ramené à Vienne où il est passé entre les mains de la Gestapo. Peu de temps après, il a été déplacé à Auschwitz, nous pensons qu’il est mort sur le trajet qui l’y menait. Si je raconte tout cela, c’est que j’ai l’impression que nous vivons exactement la même chose en ce moment. Seulement, ceux qui sont responsables, et en particulier le FPÖ, agissent de manière beaucoup plus subtile. » Doris marque une pause et passe la main dans ses cheveux couleur argentée pour reprendre : « Ils lancent de petites bombes politiques, mais juste avant un jour férié ou des vacances, de manière à ce que personne ne fasse attention et ne s’oppose. La dernière action de ce genre était l’annonce du retrait du pacte de l’ONU sur les migrations. Le gouvernement a dit ça hier, veille de jour férié. » De fait, le 31 octobre, le gouvernement autrichien a annoncé vouloir se retirer de ce pacte, un guide de bonnes pratiques pour mieux gérer le chaos des migrations irrégulières et combattre le trafic d’êtres humains, et dont la signature aura lieu en décembre, à Marrakech, au Maroc. Doris ajoute : « Je les appelle les nazis des caves, parce qu’ils sont longtemps restés dans la cave, tapis, mais maintenant, ils pensent qu’ils ont le droit de donner leur avis… Comment peut-on être aussi inhumain et penser que la “race autrichienne”, comme ils disent, vaut mieux que les autres ? »
Une politique xénophobe
En effet, le gouvernement mène depuis un an une politique favorisant largement les Autrichien·nes, au détriment des étrangers. « Il y a eu une série de mesures dans ce sens autour du Mindestsicherung, l’équivalent du RSA français. Ici, le RSA est de 863 euros pour une personne seule. Le gouvernement a décidé que, même pour un ressortissant européen, une personne non autrichienne qui n’aurait pas passé au moins cinq ans sur le sol autrichien ne toucherait pas ce RSA », analyse Jérôme Segal, universitaire installé à Vienne depuis quatorze ans et spécialiste
“On est bien dans la politique des ‘ Autrichiens
d’abord’, appliquée au sens propre”
Jérôme Segal, universitaire spécialiste de l’extrême droite allemande